« échapper », définition dans le dictionnaire Littré

échapper

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

échapper

(é-cha-pé) v. n.
  • 1Échapper de… s'enfuir, s'en aller. Échapper de prison.

    Absolument. N'en dois-je point garder ? donc il faut avoir soin De le nourrir [ce peuple de souris] sans qu'il échappe, La Fontaine, Fabl. XI, 9. L'eau si fluide, si insinuante, si propre à échapper, Fénelon, Exist. 13.

    Se sauver de. Une confiance sans raison d'échapper de tous les dangers, Nicole, Ess. de mor. 1er traité, ch. 4. Un jugement dont personne n'échappait, Bossuet, Hist. III, 3. S'il y en a qui échappent de l'orage, Bossuet, Brièv. Après un naufrage d'où il était échappé, il voulut en action de grâces participer au sacrement de l'autel, Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 357. Leurs noms sont échappés du naufrage du temps, Boileau, Sat. V. Vous n'êtes pas encore échappé de sa rage, Racine, Athal. IV, 2. Vous avez beaucoup à remercier Dieu d'en être échappé à si bon marché, Racine, Lett. à son fils, 41. Si nous échappons de cette tempête, Fénelon, Tél. I. J'ai su de quel danger échappe Brunehaut, Lemercier, Fréd. et Bruneh. III, 7.

  • 2Échapper à, se soustraire à, se dérober à. Échapper à la mort. La volatile échappe à sa tremblante main, La Fontaine, Phil. et Bauc. Seigneur, quelque Troyen vous est-il échappé ? Racine, Androm. I, 4. Comment à tant de coups serait-il échappé ? Racine, Mithr. V, 1. Depuis qu'à Pharaon ce peuple est échappé, Racine, Athal. III, 7. Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper, Racine, Phèd. II, 5. Neuf fois ce vaisseau [l'Église] qui ne doit point périr était échappé au naufrage, Chateaubriand, Mart. 4.

    Avec l'auxiliaire avoir. Ulysse, Ulysse, m'avez-vous échappé pour jamais ? Fénelon, Tél. XXIV.

    Vous ne m'échapperez point, c'est-à-dire il faut vous expliquer, consentir à ce que je désire de vous. Vous ne m'échapperez point ; il faut parler, il faut vous nommer, Genlis, Th. d'éduc. la Cur. IV, 6.

    Fig. Il ne put échapper au dilemme de son adversaire.

  • 3Être soustrait, être dérobé. La vie nous échappe. L'autorité lui échappa. Voilà les tours que me fait la mienne [imagination] à tout moment ; il me semble que tout ce que j'aime, tout ce qui m'est bon va m'échapper, Sévigné, 97. Luxembourg, au désespoir de se voir échapper une si facile campagne, se mit à deux genoux devant le roi et ne put rien obtenir, Saint-Simon, 11, 127.

    Il se dit aussi des personnes qui meurent, qui disparaissent. La princesse leur échappait parmi des embrassements si tendres, et la mort plus puissante nous l'enlevait entre ces royales mains, Bossuet, Duch. d'Orl.

    Il se dit encore des personnes dont les sentiments changent. Mme de Montespan s'aperçut que le roi lui échappait, lorsque le mal était sans remède, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 112, dans POUGENS. Si nos princes sont doux, ils sont opiniâtres ; et, s'ils échappent une fois, leur fuite est sans retour, Mme de Caylus, ib. p. 157.

  • 4N'être pas saisi par les sens, compris par l'intelligence. Des insectes si petits qu'ils échappent à la vue. Rien n'a échappé à leur prévoyance, Pascal, Prov. 6. Je vois que rien n'échappe à votre prévoyance, Racine, Baj. II, 1. Rien n'échappe aux regards de notre curieuse, Boileau, Sat. X. Quand le sens m'échappe, je me mets en colère, Sévigné, 65. Je suis sûr qu'à une seconde lecture tout au plus il ne leur en sera rien échappé, Fontenelle, Préf. des mondes. Tel que le vieux pasteur des troupeaux de Neptune, Protée, à qui le Ciel, père de la Fortune, Ne cache aucuns secrets, Sous diverse figure, arbre, flamme, fontaine, S'efforce d'échapper à la vue incertaine Des mortels indiscrets, Rousseau J.-B. Odes, au comte du Luc. Ce qui est fin, délicat ou profond vous échappe, Genlis, Veillées du chât. t. II, p. 496, dans POUGENS.

    Avec l'auxiliaire avoir. Quand on lit pour s'instruire, on voit tout ce qui a échappé lorsqu'on ne lisait qu'avec les yeux, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 13 oct. 1759.

  • 5Sortir de la mémoire. J'ai beau chercher dans mon esprit, son nom m'échappe. Tant d'autres dont les noms lui sont même échappés, Racine, Phèd. I, 1. J'ai retenu le chant, les vers m'ont échappé, Rousseau J.-B. Poés. div.
  • 6N'être plus tenu, retenu. La plume lui échappa. Le livre qu'il lisait échappa de ses mains. Le nom seul de Junie échappe de sa bouche, Racine, Brit. V, 8. M'est-il en ta présence échappé des soupirs ? Racine, Alex. IV, 1. Le fils de Caton, gendre de Paul Émile, après avoir fait des prodiges de valeur, perdit malheureusement son épée, qui lui échappa de la main, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. IX, p. 131, dans POUGENS. Sa redoutable épée échappe de sa main, Voltaire, Henr. X, 156.

    Fig. Voyant la victoire qui échappe de ses mains, Fénelon, Tél. XVII. Si celui qui est en faveur ose s'en prévaloir avant qu'elle lui échappe, La Bruyère, VIII.

    Laisser échapper, ne pas tenir, ne pas retenir. Laisser échapper un soupir, un cri, un mot, un secret.

  • 7Être fait ou dit par mégarde, par imprudence. Un geste, lui échappant, trahit ce qu'il avait dans l'âme. Laisser échapper une bévue, une faute. Ce mot ne m'a jamais échappé sans remords, Corneille, Œdipe, V, 7. Peut-être, si la voix ne m'eût été coupée, L'affreuse vérité me serait échappée, Racine, Phèd. IV, 5.

    Absolument. Une parole échappe, et elle tombe de l'oreille du prince bien avant dans sa mémoire et quelquefois jusque dans son cœur, La Bruyère, VIII.

    Impersonnellement, et avec les auxiliaires être ou avoir. Il lui échappera quelque sottise. Il lui échappe parfois des réponses impertinentes. Il m'était échappé d'en faire confidence, Corneille, Hér. II, 1. Dans les recherches de sa foi, il lui avait échappé quelques doutes, Fléchier, M. de Mont. Jamais il ne m'a échappé une seule parole qui pût découvrir le moindre secret, Fénelon, Tél. III. L'un de mes amis qui a promis de parler ne parle point ; l'autre parle mollement ; il échappe à un troisième de parler contre mes intérêts et contre ses intentions, La Bruyère, VIII. Il [Tonnerre] était fort mal dans la petite cour par ses bons mots ; il lui avait échappé de dire qu'il ne savait ce qu'il faisait dans cette boutique, Saint-Simon, 24, 30. Ce mot m'est échappé, pardonnez ma franchise, Voltaire, Henr. II.

    Il se dit des œuvres littéraires ou autres qu'on laisse se produire. Je recueille les moindres billets qui échappent de vos mains comme les feuilles de la Sibylle, Voiture, Lett. 81. MM. Cramer m'ont rendu un très mauvais service, en publiant les fadaises qui me sont souvent échappées, Voltaire, Lett. Boissy, 7 déc. 1770.

    Il se dit encore des sentiments qui se font jour involontairement. Les crimes échappent toujours par quelque endroit, Bossuet, Var. VI, § 9. Comme ensuite sa joie lui échappe et ne peut plus se dissimuler, comme il plie sous le poids de son bonheur ! La Bruyère, VIII.

    La patience lui échappe, sa patience est à bout, il est sur le point d'entrer en colère.

  • 8 Absolument. S'enfuir, se perdre. L'occasion échappera pendant ce temps-là, l'âme un peu reposée reviendra à son bon sens, Bossuet, Libre arb. 7. Si la nécessité de cette loi est prouvée, il faut la faire, quoique dans un temps moins favorable que celui qu'on a laissé échapper, Raynal, Hist. phil. XIII, 53.

    Se dérober par une échappatoire. Le ministre Jurieu croyait échapper ; et, pour pallier le mieux qu'il pouvait les blasphèmes de son parti…, Bossuet, Var. 2e avert. § 11.

  • 9Se tirer d'une maladie, guérir. Les médecins assurent qu'il échappera. Il sera bien heureux s'il en échappe, Sévigné, 314. Sans que vous puissiez craindre d'en échapper, La Bruyère, XII. Les esclaves qui auraient été abandonnés par leurs maîtres étant malades seraient libres s'ils échappaient, Montesquieu, Esp. XV, 17.
  • 10 Terme de manége. Laisser échapper, ou faire échapper un cheval de la main, le faire partir de la main, le pousser à toute bride.
  • 11 V. a. Éviter. Il a échappé la prison. Le piége est échappé ; fuyons, retirons-nous, Rotrou, Bélis. IV, 3. Qu'un enfant ait échappé tous les périls, Sévigné, 328. Il ne faut point qu'ils se flattent d'avoir échappé l'anathème qu'ont mérité les Pélagiens, sous prétexte qu'ils ne le sont qu'à demi, Bossuet, Var. XIV, add. § 4. J'ai échappé la mort à telle rencontre, Bossuet, Brièv. Nul ne peut échapper les mains de Dieu, Bossuet, Polit. VII, 6, 9. Des dangers qu'il avait échappés dans un siége, Fléchier, Œuvres compl. t. X, p. 336, 1782.

    Familièrement. Il ne l'échappera pas, c'est-à-dire il n'évitera pas ce qui le menace.

    L'échapper belle, échapper à quelque grand péril ou inconvénient. La pudeur de Mlle Temple l'avait échappé belle, Hamilton, Gramm. 10. Je viens de l'échapper bien belle, je vous jure, Molière, Éc. des f. IV, 6. Nous l'avons en dormant, madame, échappé belle, Molière, Fem. sav. IV, 3.

    Voy. à BEAU la remarque sur l'orthographe : nous l'avons échappé belle, qui devrait être : nous l'avons échappée belle.

  • 12S'échapper, v. réfl. S'évader, s'enfuir. S'échapper de prison. Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allègre, Racine, Plaid. I, 1. Ma fille de l'autel cherchant à s'échapper, Racine, Iphig. IV, 8. Incapables de tromper, Ils ont peine à s'échapper Des piéges de l'artifice, Racine, Esth. III, 9. [Socrate porta Xénophon] jusqu'à ce que le cheval qui s'était échappé eût été repris, Fénelon, Socr.
  • 13Se dérober un moment à quelque société. Il s'échappa un moment pour une affaire urgente. Je m'échapperai quelquefois pour l'aller embrasser, Bossuet, Lett. div. 2. Je me suis échappée, Tandis qu'à l'arrêter sa mère est occupée, Racine, Brit. III, 7. Tout le monde est encore dans le salon ; on joue ; et moi, à minuit, je me suis échappée pour venir m'enfermer dans ma chambre avec vous, Genlis, Adèle et Théod. Lett. 42.
  • 14Sortir, s'épandre. L'eau s'échappe des fentes d'un rocher. Des pleurs s'échappent de ses yeux. Ah ! qu'un seul des soupirs que mon cœur vous envoie, S'il s'échappait vers elle, y porterait de joie ! Racine, Andr. I, 4. Ce feu que j'avais su contraindre S'irrite en s'échappant et ne peut plus s'éteindre, Voltaire, Brut. II, 1. Et mon cœur qui le suit s'échappe loin de moi, Voltaire, Fanat. III, 10. Quand l'univers créé s'échappa de ses mains, Delavigne, Paria, I, 1.
  • 15Céder à son emportement, se laisser aller à des paroles ou à des actions inconsidérées, légères, condamnables. Cela empêche qu'on ne s'échappe en des paroles déshonnêtes, Perrot D'Ablancourt, Apophthegmes, dans RICHELET. Vous vous échapperez sans doute en sa présence, Corneille, Poly. II, 1. À quoi bon ces mouvements jaloux ? Je sors pour ne me point échapper devant vous, Th. Corneille, l'Inconnu, IV, 2. Il s'échappait jusqu'à dire…, Bossuet, Var. 1. Ils [les peuples] ont dans le fond du cœur je ne sais quoi d'inquiet qui s'échappe, si on leur ôte ce frein nécessaire [celui de la religion], Bossuet, Reine d'Anglet. On s'est échappé dans une rencontre ; on a parlé, agi mal à propos, Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 214. Il ne s'échappe pas avec les hommes [il est froid], La Bruyère, XI. Parmi les verres et les pots, On vit ce maître de la terre S'échapper en joyeux propos, Chaulieu, à Mme de Lassay. Ne doutez point, seigneur, que ce coup ne la frappe, Qu'en reproches bientôt sa douleur ne s'échappe, Racine, Brit. III, 1. Lorsqu'un vieux fou s'échappe D'être amoureux sur ses vieux ans, Il faut qu'il mette la nappe Et qu'on boive à ses dépens, Regnard, Sérén. SC. 17. Moi-même, je m'en échappe [je me le permets] souvent, sans y penser, Méré, Œuvres posth. p. 79. Mme de Lauzun s'échappa plus d'une fois avec le roi, plus souvent avec la maîtresse, Saint-Simon, 5, 72.

    Un esprit qui s'échappe, se dit d'un homme qui a par moments une espèce de folie. Il a des moments où son esprit s'échappe, Molière, Méd. m. lui, II, 1.

  • 16Se découdre, en parlant d'une étoffe. Cette couture s'échappe, ou, neutralement, elle échappe.
  • 17 Terme d'horticulture. Pousser de grandes et belles branches qui ne fructifient pas. Ce pêcher s'échappe, ou, neutralement, échappe. Cet arbre s'échappe, il le faut retenir, La Quintinye, Jardins, t. I, dans RICHELET.

REMARQUE

1. Quand échapper signifie s'enfuir, il faut de : il échappe de prison ; s'il signifie être sauvé de, on met à ou de : il a échappé au naufrage ou du naufrage ; s'il signifie se soustraire à, on met à : il a échappé à la mort, aux flammes. Il a échappé de prison signifie qu'il s'est enfui de la prison ; il a échappé à la prison ou il a échappé la prison, signifie que, courant le risque d'être emprisonné, il l'a évité.

2. S'échapper veut toujours de et jamais à.

3. Échapper se conjugue avec l'auxiliaire avoir, quand on veut exprimer l'action ; avec être, quand on veut exprimer l'état. Ainsi dans ce vers de Racine : Quelque Troyen vous est-il échappé ? Il faut est, puisque le poëte veut dire : reste-t-il quelque Troyen qui vous ait échappé ? Mais, si l'on rappelait le meurtre de Priam par Pyrrhus dans le sac de Troie, il faudrait dire : Priam vous a-t-il échappé ?

4. D'après l'Académie, échapper, dans le sens de n'être pas saisi, compris, se conjugue avec le verbe avoir. Pourtant Fontenelle s'est servi du verbe être ; et on ne voit pas en effet pourquoi il y aurait obligation d'employer le verbe avoir.

5. D'après l'Académie, échapper, signifiant être fait ou dit par mégarde, veut toujours l'auxiliaire être. Cette décision est, en fait, contraire à l'usage d'excellents auteurs (voy. les exemples) ; et, en grammaire, il n'y a aucune raison pour qu'en cet emploi on ne puisse signifier aussi l'état ou l'action avec les auxiliaires être ou avoir.

HISTORIQUE

XIe s. Kar leist [il est permis] à faire damage à altre par poür [peur] de mort, quant per el [par autre moyen] ne pot eschaper, Lois de Guill. 38. S'uns en escape, morz es et confondus, Ch. de Rol. CCXC.

XIIe s. Se truis [si je trouve] Rolant, vis [vif, vivant] non puet escaper, Ronc. 40. Li doze pair n'en escamperont mie, ib. 43. Jà cil d'Espaigne n'escamperont entier, ib. 83. Eschapez [il] fu [de prison] par Brehas sa moillier [sa femme], ib. 129. Et fors de son poing destre li eschappa l'espée, ib. 196. Mais retrait m'a en la folour [folie] Mes cuers [mon cœur], dont [de laquelle] [je] l'avoie escapé, Couci, III. À peine [je] sui sans mourir eschapez, ib. XI. Et eschapés de perillouse voie, ib. p. 124. Si [il] comanda sor tote rien [sur toute chose] L'enfant à garder par maistrie, Sor lur menbres et sor lor vie, Qu'il n'en chapt ne qu'il ne fuie, Benoit de Sainte-Maure, II, 13716. Si com chascuns estoit eschapez de la hart, Sax. XXIX. Merci al creatur, Que sumes eschapé de si grant deshonur, Th. le mart. 109.

XIIIe s. Car de mout grant peril furent eschapé, Villehardouin, CV. Ainsi eschapa Berte Tybert sans son congé, Berte, XX. Puisqu'ele est eschapée, au meilleur nous tenons [tenons-nous à ce qu'il y a de mieux], ib. XXIII. Si j'avoie cent vies… Ne me pourroit pas estre une seule eschapée…, ib. XLVI. Se Berte nous eschape [nous quitte], jamais joie [je] n'aurai, ib. LVII. Bien [elle] voit [que] par autre tor ne pourra eschaper, ib. CXII. Et li rois Phelippes et li autre prince li manderent que… s'il ne le rendoit dans tier jour, il n'en escaperoit, fors par la hart, Chron. de Rains, 36. Se Diex plaist, je ne morrai pas, Ainçois en eschaperai bien, Ren. 25787. Par les justices qui trop delaient, sont maint malfeteur escapé et maint mal fet, Beaumanoir, 40. Et en tels degrés de lignage se pot fere mariages, puisqu'il escape le quart, Beaumanoir, XIX, 5. Et il respondi que il entendoit que j'avoie l'apostume en la gorge, par quoi je ne pouoie eschaper, Joinville, 241. Honniz soit qui por endeter Laira bone vie à mener ; Adès la voit on eschaper, à quel chief que doie torner, Colin Muset, dans Hist. littér. de la France, t. XXIII, p. 555.

XIVe s. Le sanglier vient aux levriers, Et ilz le prennent volentiers ; Au regarder a grant plaisance ; à l'ung echappe, à l'autre lance, Et font un grant tourniement, Modus, f° CXII.

XVe s. Si se mit dans un vaisseau qu'on appelle lique à tout ce de gens qu'il avoit eschappés, Froissart, I, I, 182. Si avons entendu qu'il n'y eschappe journée qu'il n'y ait jouste, Perceforest, t. V, f° 89. Le cheval effroyé et espouvanté se eschampa de costé, ou recula parmi de grosses pierres, Du Cange, escapium.

XVIe s. Ce levrier n'eschappoyt ni lievre ni regnard devant luy, Rabelais, Garg. I, 42. Ainsi commenceoyt escamper de la chambre, mais…, Rabelais, Pant. III, 17. Richelieu parlementa, et composa à armes et bagues sauves : les soldats eschapperent aux chefs pour le bagage seulement, D'Aubigné, Hist. I, 226. Ici il faut faire distinction en tels accidens des capitulations qui se faussent avec le gré des chefs, ou seulement par la mutinerie des gens de guerre, ce que nous appellons en tel cas eschapper, D'Aubigné, ib. I, 313. Huict qui eschapperent la premiere fureur furent gardez pour le bourreau, D'Aubigné, ib. II, 264. Se sentant defaillir et eschapper du cheval, Montaigne, I, 16. Il leur eschappe de belles paroles, mais…, Montaigne, I, 146. Si cette piperie m'eschappe à veoir, au moins ne m'eschappe il pas à veoir que je suis très pipable, Montaigne, I, 81. Si quelqu'un se defaisoit en prison, celuy-là m'est eschappé, disoit-il, Montaigne, II, 383. Perseus, lui embrassant les genoulx, se laissa eschapper de la bouche des paroles si lasches et de si viles prieres, que…, Amyot, P. Aem. 44. Le jeune Marius, voyant bien qu'il ne pouvoit eschapper qu'il ne fust pris, se desfeit luy mesme, Amyot, Sylla, 67. Celui n'est eschappé, qui traine son lien, H. Estienne, Apol. d'Hér. XXVI.

ÉTYMOLOGIE

Picard, écaper ; bourguig. échaipé ; Berry, achapper ; provenç. espagn. et portug. escapar ; ital. scampare. En lisant l'historique, on verra qu'il y a deux formes, escaper et escamper ; elles répondent à deux étymologies différentes : escaper vient de ex-cappare, sortir de la cappe, se mettre à découvert (l'italien, remarque Diez, a in-cappare, tomber dans) ; escamper vient de ex-campare, sortir du champ, s'en aller. On trouvera dans un exemple du XIIe siècle chapt au subjonctif pour eschapt ; mais c'est une faute ; le simple chaper ne pourrait rien signifier, et ici le vers est fautif, manquant d'une syllabe, il faut donc lire eschapt.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ÉCHAPPER. - REM. Ajoutez :

5. L'emploi d'échapper à l'actif est dans le Dictionnaire de l'Académie et dans plusieurs bons auteurs. J'ai échappé la mort à telle et telle rencontre ; c'est mal parler : j'ai échappé la mort ; j'ai évité ce péril, mais non pas la mort, Bossuet, Fragment sur la brièveté de la vie. Ceux qui s'étaient appuyés sur des conseils accommodants et sur des condescendances flatteuses, qui pensaient avoir échappé la honte, Bossuet, Sermons, Jugement dernier, 2. Nul n'échappera cette honte, Bossuet, ib.

Il ne faut pas laisser tomber cet emploi en désuétude.