« trop », définition dans le dictionnaire Littré

trop

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

trop

(tro ; le p se lie : il va tro-p avant ; mais, pour peu qu'il y ait suspension, le p ne se fait pas sentir : le tro et le tro peu) s. m.

(Trop est essentiellement un substantif.)

  • 1Ce qui est en excès. Le trop de confiance attire le danger, Corneille, Cid, II, 7. Sa mère, que longtemps je voulus épargner… L'a de la sorte instruite ; et ce que je vois suivre Me punit bien du trop que je la laissai vivre, Corneille, Héracl. I, 1. Le trop d'expédients peut gâter une affaire… N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon, La Fontaine, Fabl. IX, 14. Il y en a beaucoup que le trop d'esprit gâte, Molière, Critique, 6.
  • 2Mon trop de…, son trop de, etc., l'excès de mon, de son, etc. Mais votre trop d'amour pour cet infâme époux Vous donnera bientôt à plaindre comme à nous, Corneille, Hor. III, 6. Il s'en est peu fallu que, durant mon absence, On ne m'ait attrapé par son trop d'innocence, Molière, Éc. des fem. III, 3. J'abuse, cher ami, de ton trop d'amitié, Racine, Andr. III, 1.
  • 3Sans article, trop de, un excès de. Je me suis accusé de trop de violence, Corneille, Cid, III, 4. Voilà les pauvres gens Malheureux par trop de fortune, La Fontaine, Fabl. VII, 6. Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême : trop de bruit nous assourdit, trop de lumière éblouit…, Pascal, Pens. I, 1, éd. HAVET. Il nous sera toujours impossible de satisfaire pleinement les divers ordres de lecteurs ; le littérateur trouvera dans l'Encyclopédie trop d'érudition, le courtisan trop de morale, le théologien trop de mathématique, le mathématicien trop de théologie, l'un et l'autre trop de jurisprudence et de médecine, D'Alembert, Œuv. i. I, p. 372. Trop de sang, trop de pleurs ont inondé la France, Chénier M. J. la Promenade.

    C'est trop que ou de, il y a excès à. Ah ! ma bonne, que je voudrais bien vous voir un peu, vous entendre… vous voir passer, si c'est trop que le reste ! Sévigné, 18 févr. 1671. Si certains esprits vifs et décisifs étaient crus, ce serait encore trop que les termes pour exprimer les sentiments, La Bruyère, I. C'est trop contre un mari d'être coquette et dévote : une femme devrait opter, La Bruyère, III.

    C'en est trop, c'est aller trop loin. C'en est trop, madame, répliqua don Fadrigue ; je ne mérite pas que vous me regrettiez si longtemps, Lesage, Diable boit. 15.

  • 4Trop, régime direct d'un verbe. Non, je n'aurai pas trop de toute ma puissance Pour punir à mon gré mon odieux rival, Fontenelle, Thét. et Pol. IV, 4. Et qui peut nous combler de honte et de dépit, Moi d'en avoir trop su, vous d'en avoir trop dit, Voltaire, Indiscr. I, 3. Boileau restera un de nos bons auteurs classiques pour les vers ; on lui a peut-être trop accordé de son vivant ; peut-être lui refuse-t-on trop aujourd'hui, Duclos, Œuv. t. x, p. 85.
  • 5Trop précédé d'une préposition.

    De trop, qui est en excès. Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant, Boileau, Art p. I. Ignorez-vous qu'une multitude de vos frères périt ou souffre du besoin de ce que vous avez de trop ? Rousseau, Inég. 2e part. Mademoiselle, votre approbation est de trop, Diderot, Père de famille, III, 4.

    Vous n'êtes pas de trop, se dit pour engager à rester une personne qui craint que sa présence ne gêne. Vous savez que votre présence ne gâte jamais rien, et que vous n'êtes point de trop, en quelque lieu que vous soyez, Molière, Am. magn. I, 1. Un homme habile sent s'il convient, ou s'il ennuie : il sait disparaître, le moment qui précède celui où il serait de trop quelque part, La Bruyère, v. Oh ! ça, monsieur, voulez-vous que je vous parle franchement ? vous êtes de trop dans la maison, Dancourt, 2e chap. Diable boit. sc. 1. Tu la gênes ; tu es ici de trop, Boissy, Franç. à Lond. sc. 2.

    Par trop, à l'excès. Son style est par trop familier. Tu m'obliges par trop avec cette nouvelle : Va, je reconnaîtrai ce service fidèle, Molière, l'Ét. III, 8.

  • 6Trop d'un, de deux, de la moitié, un, deux, moitié de trop. Trop d'un Héraclius en mes mains est remis ; Je tiens mon ennemi, mais je n'ai plus de fils, Corneille, Hér. IV, 4. C'est trop, me disait-il, c'est trop de la moitié, Je ne mérite pas de vous faire pitié, Molière, Tart. I, 6. Nous sommes trois chez vous, c'est trop de deux, madame, Hugo, Hernani, I, 3.
  • 7Adv. de quantité. Plus qu'il ne faut, avec excès. C'est trop m'importuner en faveur d'un sujet, Corneille, Nicom. III, 2. Ce secret, qui fut gardé entre dix-sept personnes, est un de ceux qui m'ont persuadé que parler trop n'est pas le défaut le plus commun des gens qui sont accoutumés aux grandes affaires, Retz, Mém. t. II, liv. III, p. 137, dans POUGENS. Gens trop heureux font toujours quelque faute, La Fontaine, Berceau. Il ne fallait pas faire faire cela par un écolier ; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là, Molière, Bourg. gentil. I, 2. Le trop riant espoir que vous leur présentez, Molière, Mis, II, 1. Je reçois votre lettre du 16 ; elle est trop aimable, et trop jolie, et trop plaisante, Sévigné, 25 juill. 1689. Ils [les rois] ont trop fait sentir aux peuples que l'ancienne religion se pouvait changer, Bossuet, Reine d'Angleterre. Trop faible pour expliquer avec force ce qu'il sentait, il empruntait la voix de son confesseur, Bossuet, Louis de Bourbon. Vous le savez trop bien : jamais, sans ses avis, Claude qu'il gouvernait n'eût adopté mon fils, Racine, Brit. III, 3. Il [le péché] nous paraît moins hideux, parce qu'on n'est jamais trop effrayé de ce qui nous ressemble, Massillon, Car. Pass. Je ne vous envoie jamais aucun des petits livrets peu orthodoxes qu'on imprime en Hollande et en Suisse…je n'ai été que trop calomnié, Massillon, Lett. Richelieu, 8 nov. 1769.

    Terme de manége. Trop assis, se dit du cheval dont les extrémités postérieures se rapprochent trop de la ligne du centre de gravité, ou qui la devancent.

    Trop ouvert, se dit lorsque les membres sont trop portés en dehors.

    Trop serré, se dit lorsque les membres sont trop portés en dedans.

    Pas trop, pas plus qu'il ne faut. Elle n'a pas trop dansé.

    Médiocrement. Je ne m'y fierais pas trop. M. de Vivonne est fort mal de sa blessure, M. de Marsillac pas trop bien de la sienne, et M. le Prince est quasi guéri, Sévigné, 153. Muréna, de retour à Rome, reçut l'honneur du triomphe, qu'il n'avait pas trop mérité, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. x, p. 179, dans POUGENS.

  • 8Trop peu, pas assez. Vous en avez plus qu'il ne vous en faut, et il en a trop peu. Trop peu d'honneur pour moi suivrait cette victoire, Corneille, Cid, II, 2. Joignez tous vos efforts contre un espoir si doux : Pour en venir à bout c'est trop peu que de vous ! Corneille, Cid, v, 1. Les dieux t'ont laissé vivre assez pour ta mémoire, Trop peu pour l'univers, Rousseau J.-B. Odes, II, 10.
  • 9Trop mieux, s'est dit pour beaucoup mieux. Pardonnez-moi toutes ces redites, vous qui savez et qui possédez trop mieux tous les points que je range ici, Saint-Simon, 300, 140. Trop mieux aimant suivre quelques dragons, Gresset, Ver-vert.

    Bossuet a employé trop dans le sens archaïque de beaucoup. Au premier avis que le hasard lui porta d'un siége important, il [Condé] traverse trop promptement tout un grand pays, et, d'une première vue, il découvre un passage assuré pour le secours…, Bossuet, Louis de Bourbon.

  • 10Assez et trop longtemps, pendant un temps trop long. Assez et trop longtemps ma lâche complaisance De vos jeux criminels a nourri l'insolence, Boileau, Sat. IX.

PROVERBES

Trop est trop, rien de trop, tout excès est blâmable. Rien de trop est un point Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point, La Fontaine, Fabl. IX, 11.

Trop et trop peu n'est pas mesure.

À chacun le sien n'est pas trop.

Il y a deux sortes de trop, c'est-à-dire le trop et le trop peu.

Qui trop embrasse mal étreint, qui entreprend trop de choses à la fois ne réussit à rien.

REMARQUE

Trop de avec un nom au pluriel veut au pluriel le verbe dont il est sujet : Trop de larmes ont été répandues.

HISTORIQUE

XIe s. Carles respunt : trop avez tendre cuer, Ch. de Rol. XXIII. Co dist li reis : trop avez maltalant, ib. XXIV.

XIIe s. Mais trop vient lent, dame, vostre secours, Couci, VII. Car nus [nul] dons n'est courtois qu'on trop delaie, ib. XVI. Certes, seigneur, dit-il, trop tost le saura-on, Sax. XX.

XIIIe s. À tels croisés sera Diex trop soufrans, Se ne s'en venge à po de demourance, Quesnes, Romancero, p. 97. Vertus corront et gaste par po [peu] et par trop, et si se conserve et maintient par la meenneté, Latini, Trésor, p. 267. Vous en avez assez, et je en ai trop peu, Berte, XXXII. Grant paour [elle] ot du vent, qui menoit trop grant bruit, ib. XXXVI. Se li souget le conte li fesoient avoir trop grant salaire, quant li enfant seroient aagié, il aroient action de demander le trop à lor tuteur, Beaumanoir, XVII, 8. Ha, pour Dieu, sire, lisies souvent ce livre ; car ce sont trop [très ] bones paroles, Joinville, 260. En [on] se doit assemer [parer] en robes et en armes en tel maniere, que les preudes hommes de cest siecle ne dient que on en face trop, ne les joenes gens de cest siecle ne dient que on en face pou, Joinville, 196.

XIVe s. Tel cas ne peut advenir fors trop [très ] peu souvent, Oresme, Eth. 164.

XVe s. Un trop [très ] beau chemin et plain à chevaucher, Froissart, II, III, 10. Il nous vaut trop mieux à mentir notre serment envers le duc d'Anjou que devers le roi d'Angleterre notre naturel seigneur, Froissart, II, II, 8. Elle leur fit rendre l'estimation de leurs chevaux qu'ils voulurent laisser, si haut que chacun vouloit estimer les siens, sans dire ni trop ni peu et sans debat, Froissart, I, I, 25. Laquelle jeune fille, pour ce que ledit Lechien mettoit trop [tardait trop] à l'espouser…, J. de Troyes, Chron. 1465. Le vin n'est point de ces maulvais breuvaiges Qui, beus par trop, font faillir les couraiges, Basselin, LIV. Sans nulle doubte le roy [Louis XI] en sens le passoit de trop [le duc de Bourgogne], et la fin l'a monstré par ses œuvres, Commines, III, 3.

XVIe s. Ilz sont en nombre trop plus dix foys que nous : chocquerons nous sus eulx ? Rabelais, Garg. I, 43. J'ai reçu les lettres que m'avez escriptes, par lesquelles j'ay congneu que vous estes trop meilleur parent que le roy de Navarre n'est bon mary, Marguerite de Navarre, Lett. 76. Il esclaireroit par trop la bestise des aultres [passages du livre], Montaigne, I, 156. Qu'il soit bien pourveu de choses, les paroles ne suyvront que trop, Montaigne, I, 187. La regle de Rien trop, commandée par Chilon, Montaigne, I, 202. La prudence enseigne le point du milieu, auquel consiste toute louable action entre deux vicieuses extremitez du peu et du trop, Amyot, Préf. XI, 38. Assez et trop malgré nos a vescu Ce sang maudit par tant de fois vaincu, Ronsard, 608. Partout, voire à estre bon et sage, il y peut avoir du trop, Charron, Sagesse, II, 11. Assez n'y a, si trop n'y a, Cotgrave Nul n'a trop pour soy De sens, d'argent, de foy, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Patois des Fourgs, trou ; bourguig. trô ; génev. trop à bonne heure (dites de trop bonne heure) ; provenç. trop, troupeau, et trop, trop ; ital. troppo. C'est le mot trop, troupeau (voy. TROUPE) employé adverbialement pour signifier excès de quantité.