« fortune », définition dans le dictionnaire Littré

fortune

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fortune

(for-tu-n') s. f.
  • 1Terme du polythéisme gréco-romain. Divinité qui présidait aux hasards de la vie. Le temple de la Fortune. Les anciens représentaient la Fortune sous forme d'une femme, tantôt assise et tantôt debout, ayant un gouvernail, avec une roue à côté d'elle, pour marquer son inconstance, et tenant dans sa main une corne d'abondance.

    Il s'écrit en ce sens avec une majuscule.

    Il se dit, par allusion, en un sens analogue au précédent, mais sans majuscule. Je mets cette lettre entre les mains de la fortune sans voir comme elle pourra passer au travers de tant de difficultés et de feux qui nous entourent, Voiture, Lett. 22. Sans mentir, monsieur, la fortune est une grande trompeuse ! bien souvent en donnant aux hommes des charges et des honneurs, elle leur fait de mauvais présents, et pour l'ordinaire elle nous vend bien chèrement les choses qu'il semble qu'elle nous donne, Voiture, Lett. 123. Mais jugeons, je vous supplie, s'il a tenu à lui ou à la fortune qu'il ne soit venu à bout de ce dessein, Voiture, Lett. 74. La fortune est changeante, Tristan, M. de Chrispe, I, 3. Surtout quand à nos yeux la fortune se montre…, Tristan, ib. IV, 2. L'homme à qui la fortune a fait des avantages, Tristan, Mariane, I, 3. La fortune nous corrige de plusieurs défauts que la raison ne saurait corriger, La Rochefoucauld, Réflex. mor. 154. La fortune… Il n'arrive rien dans le monde Qu'il ne faille qu'elle en réponde ; Nous la faisons de tous écots, La Fontaine, Fabl. V, 11. Qui ne court après la fortune ? La Fontaine, ib. VII, 12. Mais que vous sert votre mérite ? La fortune a-t-elle des yeux ? La Fontaine, ib. Fortune, qui nous fais passer devant les yeux Des dignités, des biens que jusqu'au bout du monde On suit sans que l'effet aux promesses réponde, Désormais je ne bouge et ferai cent fois mieux, La Fontaine, ib. Fortune aveugle suit aveugle hardiesse, La Fontaine, ib. X, 14. Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures, On pense en être quitte en accusant le sort ; Bref, la fortune a toujours tort, La Fontaine, ib. v, 11. Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne, Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne, La Fontaine, Phil. et Bauc. La fortune veut être prise de force ; les affaires veulent être emportées par la violence, Bossuet, Sermons, Providence, 1. Poursuivi à toute outrance par l'implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s'est pas manqué à lui-même, Bossuet, Reine d'Anglet. Il ne faut pas se flatter ; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales ; mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes quand la fortune nous les pardonne ! Bossuet, ib. Un homme également actif dans la paix et dans la guerre, qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance, Bossuet, ib. Que la fortune ne tente donc pas de nous tirer du néant ni de forcer la bassesse de notre nature, Bossuet, Duch. d'Orl. Tout vous rit, la fortune obéit à vos vœux, Racine, Brit. II, 2. Mithridate revient ! Ah fortune cruelle ! Racine, Mithr. I, 5. Fortune dont la main couronne Les forfaits les plus inouïs, Du faux éclat qui t'environne Serons-nous toujours éblouis ? Rousseau J.-B. Ode à la fortune. Les destinées des princes et des États sont tellement le jouet de ce qu'on appelle la fortune, que le salut de l'Empereur vint d'un prince protestant, Voltaire, Ann. Emp. Charles-Quint, 1546. Gouvernez la fortune et sachez l'asservir, Voltaire, Adélaïde, II, 7. La fortune fit évanouir tous ces vastes projets, Voltaire, Louis XV, 1.

    La roue de la fortune, les accidents divers dans la vie des hommes et dans le sort des États.

    Fig. Attacher un clou à la roue de la fortune, trouver moyen de fixer la fortune.

    La roue de la fortune ou la roue de fortune, s'est dit aussi, dans le temps qu'on tirait la loterie, de la roue où l'on mettait les numéros, qu'on mêlait en faisant tourner la roue.

    Les jeux, les coups, les caprices de la fortune, les grands changements qui arrivent aux hommes ou aux États et qui les élèvent ou les abaissent.

    Fig. Adorer, encenser la fortune, sacrifier à la fortune, etc. s'attacher à ceux qui sont en faveur, en crédit.

    Tenter la fortune, et, plus familièrement, brusquer la fortune, tenter de réussir par des moyens prompts et hasardeux. Laissons de leur amour la recherche importune ; Poussons à bout l'ingrat et tentons la fortune : Voyons si, par mes soins sur le trône élevé, Il osera trahir l'amour qui l'a sauvé, Racine, Bajaz. IV, 4.

  • 2Ce qui advient par la volonté de la Fortune, chance, hasard. Il est certain qu'Alexandre courut grande fortune non-seulement de la vie, mais…, Vaugelas, Q. C. 380. Je voudrais bien savoir s'il y a quelque astrologue qui eût pu dire en me voyant il y a deux ans dans la rue Saint-Denis avec ma rotonde [sorte de fraise], que je courrais bientôt fortune de ramer dans les galères d'Alger ou d'être mangé par les poissons de la mer Atlantique, Voiture, Lett. 42. M. le prince ne courait aucune fortune, s'il lui plaisait de revenir à la cour, Retz, III, 271. Si vous voulez m'assurer mon sort principal [mon capital], qu'il ne coure fortune, Pascal, Prov. 8. Non-seulement, dit-il, nous courons fortune de tout perdre, mais le temple de la grande Diane va tomber dans le mépris, Bossuet, Hist. II, 12. De quelque manière que vous jetiez les dés, ils amèneront toujours les mêmes points ; voilà une étrange fortune ! Chateaubriand, Génie, I, V, 3.

    Tenter fortune, s'engager dans des entreprises dont l'issue dépend de chances qu'on ne peut ni calculer ni prévoir.

    Chercher fortune, chercher les occasions qui peuvent procurer ce que l'on désire, biens, honneurs, faveurs de femmes, etc. Témoignez seulement que vous cherchez fortune, La Fontaine, Cand. Cela fit que, sans renoncer à ses prétentions [sur une dame], il se mit à chercher fortune ailleurs, Hamilton, Gramm. 6.

    On disait autrefois, dans un sens analogue : busquer fortune, Dict. de l'Académie (ce mot, aujourd'hui inusité, n'est pas à son rang alphabétique ; c'était une locution espagnole, buscar, chercher, introduite au XVIe et au XVIIe siècle).

    La fortune des armes, les hasards, les chances de la guerre.

    Familièrement. La fortune du pot, le dîner tel qu'il se trouve. Venez dîner avec nous à la fortune du pot.

    De fortune, de bonne fortune, de grande fortune, par fortune, loc. adv. Par hasard, par grand hasard. De bonne fortune il ne faisait point du tout de vent, Voiture, Lett. 9. Comme elle disait ces mots, Le loup, de fortune, passe, La Fontaine, Fables, IV, 15. Je l'avais sous mes pieds rencontré par fortune, Molière, Sgan. 22. Le p. Tellier était à Marly comme tous les vendredis ; et, de grande fortune, d'Antin était allé faire une course à Paris, Saint-Simon, 268, 126. Avant-hier advint que de fortune Je rencontrai ce Guignard sur la brune, Voltaire, Hypocr.

  • 3Bonne fortune, heureuse circonstance, chance heureuse. Que celui qui l'occupe a de bonne fortune ! Corneille, Nic. I, 2. Je porte peu d'envie à sa bonne fortune, Corneille, Œdipe, I, 3.

    Bonne fortune, la bonne aventure, ce qui arrivera à chacun. Écoutez, vous autres, y a-t-il moyen de me dire ma bonne fortune ? Molière, Mar. forc. 10. Une bande de ces personnes qu'on appelle égyptiens, qui, rôdant de province en province, se mêlent de dire la bonne fortune, Molière, Fourber. III, 3.

    Bonne fortune, faveurs d'une femme. Il se vante d'avoir eu cette bonne fortune. Il se donnait continuellement comme un homme à bonnes fortunes, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 249, dans POUGENS. Le petit Germain, sur qui pleuvaient de tous côtés les bonnes fortunes, Hamilton, Gramm. 6. Que, pour vous faire croire homme à bonne fortune, Vous passez en hiver des nuits au clair de lune À souffler dans vos doigts…, Regnard, Distrait, IV, 6. L'homme à bonnes fortunes, titre d'une comédie de BARON. Amazan refusait constamment toutes les bonnes fortunes qui se présentaient à lui, Voltaire, Babyl. 6.

    Fortune, dans le sens de bonne fortune en galanterie. Vous est-il point encore arrivé de fortune ? Molière, Éc. des femmes, I, 6. Moreau avait été galant ; il eut des fortunes distinguées et quantité que sa figure et sa discrétion lui procurèrent, Saint-Simon, 189, 20.

    Être en bonne fortune, être à un rendez-vous donné par une maîtresse. Pour troubler un homme en bonne fortune, Hamilton, Gramm. 6.

    Dans un sens dérivé, mais particulier. En bonne fortune, en cachette, avec mystère. Mme de Caylus se laissa aller à des rendez-vous en bonne fortune avec Mme de Maintenon à Versailles ou à Saint-Cyr, Saint-Simon, 168, 267. M. le prince avait envoyé proposer à ce père [de la Tour] de le venir voir en bonne fortune la nuit et travesti, Saint-Simon, 225, 19. Je faisais celui-là [travail], comme on dit, en bonne fortune, et je n'avais voulu communiquer mon projet à personne, Rousseau, Conf. IX.

  • 4Mauvaise fortune, adversité, suite d'événements fâcheux. Il [le prince de Condé] apprit à l'Espagne trop dédaigneuse quelle était cette majesté que la mauvaise fortune ne pouvait ravir à de si grands princes [les Stuarts exilés], Bossuet, Louis de Bourbon. Il supporta la mauvaise fortune sans faiblesse, comme il jouit de la bonne sans orgueil, Fléchier, Hist. de Théodose, I, 1.
  • 5Il se prend quelquefois pour bonheur. Peut-être que vous avez jugé que cette fortune était tellement au delà de ce que je devais espérer, qu'il vous fallait avec loisir chercher des termes pour me la rendre croyable, Voiture, Lett. 1. Peut-être la fortune est prête à vous quitter, Racine, Esther, III, 1. À mon fils Xipharès je dois cette fortune, Racine, Mithrid. V, 5. Il n'est point de fortune à mon bonheur égale, Racine, Théb. v, 4.

    Il est en fortune, il gagne tout ce qu'il veut.

    Fig. Être en fortune, être en verve, en crédit. Je répondis à tout, car j'étais en fortune, Sévigné, 521.

    En un sens opposé, malheur. Dieu vous préserve de mal et de fortune. Lors de mon coin vous me verrez sortir Incontinent, de crainte de fortune, La Fontaine, Sav.

    Contre fortune bon cœur, c'est-à-dire il faut faire face avec courage contre les accidents que la fortune inflige. Allons, allons, madame, ne vous affligez point ; contre fortune bon cœur, Baron, Coq. et fausse prude, V, 2. On dit aussi sans ellipse : Faites, il fit contre fortune bon cœur.

    Terme de pratique. À ses risques, périls et fortune, loc. adv. qui signifie que tous les risques sont mis à la charge de la personne dont il s'agit.

    Se dit aussi dans le langage ordinaire, avec le même sens. Qu'il est beau de détromper à ses risques et fortunes un indifférent sur des choses qui lui importent ! Diderot, Essai sur la vertu. Ma coutume est de donner mes griffonnages aux libraires, qui les impriment à leurs périls et fortunes, Courier, Lett. II, 24.

    La bonne et la mauvaise fortune, l'une et l'autre fortune, la prospérité et l'adversité. Égal dans les événements de l'une et l'autre fortune, Hamilton, Gramm. 5.

  • 6 Terme de marine. Fortune de mer, les accidents qui arrivent aux navigateurs, naufrages, tempêtes, pirates, etc.

    Fortune de vent, gros temps, temps pendant lequel les vents sont forcés.

    Voile de fortune, voile qui ne se porte que pendant l'orage.

    Gouvernails, mâts, etc. de fortune, gouvernails, mâts qui ne servent que momentanément.

    Fortune, nom d'une vergue et d'une voile dont on se sert à bord de certains navires qui ont le gréement des goëlettes. La fortune est une voile carrée attachée sur une vergue qui se hisse, comme la voile de misaine des bâtiments carrés, à la tête et sur l'avant du mât de misaine, Jal

  • 7La fortune de quelqu'un, ce qui peut lui arriver de bien ou de mal. Me faire la faveur d'assurer particulièrement trois d'entre elles [personnes] que, quelque loin que me jette ma fortune, la meilleure partie de moi-même sera toujours au lieu où elles seront, Voiture, Lett. 38. Donc, comme à vous servir j'attache ma fortune, Corneille, Ment. III, 5. Chacun, à ses périls, peut suivre sa fortune, Corneille, Perthar. III, 2. Jamais il n'a été en ma puissance de concevoir comme on trouve écrit dans le ciel jusqu'aux plus petites particularités de la fortune du moindre homme, Molière, Am. magn. III, 1. [Le prince de Condé] mande à ses agents dans la conférence [pour la paix des Pyrénées], qu'il n'est pas juste que la paix de la chrétienté soit retardée davantage à sa considération, qu'on ait soin de ses amis, et, pour lui, qu'on lui laisse suivre sa fortune, Bossuet, Louis de Bourbon. Demeurons toutefois pour troubler leur fortune, Racine, Andr. II, 1. Sa fortune dépend de vous plus que de moi, Racine, Brit. II, 4. Les biens qu'il avait abandonnés pour suivre la fortune de son maître, Hamilton, Gramm. 6. Je résolus de m'attacher à elle, de courir sa fortune, Rousseau, Conf. v.

    Il se dit aussi des choses. La fortune d'un livre. La fortune des empires.

  • 8Plus particulièrement, la fortune de quelqu'un, son heureuse fortune, les succès qu'il obtient. Cromwell alors se fit nommer gouverneur d'Irlande ; il partit avec l'élite de son armée, et fut suivi de sa fortune ordinaire, Voltaire, Mœurs, 181. Soliman envoie le bacha Mustapha assiéger Malte ; rien n'est plus connu que ce siége où la fortune de Soliman échoua, Voltaire, Ann. Emp. Maximilien II, 1565.
  • 9Il se dit, au pluriel, des variations du sort, de la destinée. En racontant toutes ses fortunes et tous ses longs voyages, D'Urfé, Astrée, I, 2. Je désire seulement d'avoir bientôt l'honneur de vous voir, et que toutes mes fortunes soient tellement jointes aux vôtres, que je ne sois jamais heureux ni malheureux qu'avec vous, Voiture, Lett. 35. Quoique nous lisions de lui, si faut-il avouer que vos fortunes sont aussi merveilleuses que les siennes, Voiture, Lett. 3. Il ne manque à vos fortunes que d'avoir été criminelle d'État, et voici que je vous en fais naître une belle occasion, Voiture, Lett. 31. Il [l'amour] a droit de régner sur les âmes communes, Non sur celles qui font et défont les fortunes, Corneille, Att. III, 4. Hors de l'ordre commun il [le sort] nous fait des fortunes, Corneille, Hor. II, 3. Quant au surplus des fortunes humaines, Les biens, les maux, les plaisirs et les peines…, La Fontaine, Belphégor. Nous parlions des fortunes d'Horace, Molière, l'Ét. IV, 6. Les fortunes du chevalier de Grammont y furent longtemps diverses dans l'amour et dans le jeu, Hamilton, Gramm. 5. Jetons la vue sur les fortunes galantes de son altesse, avant la déclaration de son mariage, Hamilton, ib. 3. Élevé par cette illusion au dernier degré de la gloire, vous vous convaincrez par vous-même de la vanité des fortunes, Vauvenargues, Médit. sur la foi. À la nécessité soumettons nos fortunes, Briffaut, Ninus II, IV, 10.

    On le dit aussi des choses. Cette doctrine a eu des fortunes très diverses.

  • 10Revers de fortune, accident qui change une bonne situation en une mauvaise.

    Retour de fortune, vicissitude dans la destinée, dans l'état des choses. Il y a de singuliers retours de fortune.

  • 11L'état, la condition où l'on est. Se contenter de sa fortune. Je me souhaiterais la fortune d'Éson, Malherbe, II, 12. Le capitaine de vaisseau touché de ma fortune prit amitié pour moi, Molière, l'Av. V, 3. Il goûtait un véritable repos dans la maison de ses pères qu'il avait accommodée peu à peu à sa fortune présente, sans lui faire perdre les traces de l'ancienne simplicité, Bossuet, le Tellier. Poursuivie par ses ennemis implacables qui avaient eu l'audace de lui faire son procès, tantôt sauvée, tantôt presque prise, changeant de fortune à chaque quart d'heure, Bossuet, Reine d'Angleterre. Que si quelqu'un, mes vers, alors vous importune, Pour savoir mes parents, ma vie et ma fortune, Boileau, Ép. X. Ma fortune va prendre une face nouvelle, Racine, Andr. I, 1. Heureux qui satisfait de son humble fortune…, Racine, ib. Vous avez entendu sa fortune [de Joas], Racine, Athal. II, 7.

    Il se dit aussi au pluriel. Dans les fortunes médiocres, l'ambition encore tremblante se tient si cachée qu'à peine se connaît-elle elle-même, Bossuet, le Tellier. Ô mère, ô femme, ô reine admirable et digne d'une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étaient quelque chose ! Bossuet, Reine d'Anglet.

    Une grande fortune, une condition élevée. Il n'y a rien qui se soutienne plus longtemps qu'une médiocre fortune ; il n'y a rien dont on voie mieux la fin qu'une grande fortune, La Bruyère, VI.

    Chacun est artisan de sa fortune, c'est-à-dire en général nos succès dépendent de nous.

    Il fut l'artisan de sa fortune, il ne dut qu'à lui ses bons succès.

  • 12Élévation de quelqu'un dans la condition, le rang, les honneurs, les emplois, les richesses. Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune D'un courtisan flatteur la présence importune, Corneille, Cinna, II, 1. Lui donner moyen de pousser sa fortune, Sévigné, 607. Je ne vais point au Louvre adorer la fortune, Boileau, Sat. II. Enfin je me dérobe à la joie importune De tant d'amis nouveaux que me fait la fortune, Racine, Bérén. I, 4. Ai-je donc élevé si haut votre fortune Pour mettre une barrière entre mon fils et moi ? Racine, Brit. I, 2. Pardonnez à l'éclat d'une illustre fortune Ce reste de fierté qui craint d'être importune, Racine, Andr. III, 6. Il a commencé de bonne heure et dès son adolescence à se mettre dans les voies de la fortune, La Bruyère, VI. Il faut avoir trente ans pour songer à sa fortune, elle n'est pas faite à cinquante ; l'on bâtit dans sa vieillesse, et l'on meurt quand on en est aux peintres ou aux vitriers, La Bruyère, ib. La révolte du comte de Soissons fut la plus dangereuse ; elle était appuyée par le duc de Bouillon, fils du maréchal, qui le reçut dans Sedan, par le duc de Guise, petit-fils du balafré, qui, avec le courage de ses ancêtres, voulait en faire revivre la fortune, Voltaire, Mœurs, 176.

    Les biens de la fortune, les richesses, les honneurs, les emplois.

    Faire fortune, s'élever haut dans les honneurs, les emplois, les richesses. Faire fortune est une si belle phrase et qui dit une si bonne chose, qu'elle est d'un usage universel, La Bruyère, VI. Il faut une sorte d'esprit pour faire fortune et surtout une grande fortune ; ce n'est ni le bon ni le bel esprit, ni le grand, ni le sublime, ni le fort, ni le délicat ; je ne sais précisément lequel c'est ; j'attends que quelqu'un veuille m'en instruire, La Bruyère, ib.

    Fig. Faire fortune, en parlant des choses, obtenir du succès, réussir. Depuis la paix, mon vin fait encore plus de fortune en Angleterre qu'en a fait mon livre [l'Esprit des lois], Montesquieu, Correspondance, 61. Toutes ces pièces ont été imprimées, leur fortune est faite, Diderot, les Saisons. Je puis assurer à Votre Majesté que ces mots précieux à la raison ont fait autant de fortune que son bel éloge de l'impératrice reine, D'Alembert, Lett. au roi de Prusse, 30 mars 1781. Mot qui courut dans le monde et fit fortune, Marmontel, Mém. V.

    Faire la fortune de quelqu'un, le faire parvenir à une position élevée. Cette créature avait fait la fortune de bien des gens, Sévigné, 348. Aimez vos domestiques, portez-les à Dieu, faites leur fortune, mais ne leur en faites jamais une grande, Maintenon, Avis à la duch. de Bourgogne.

    Faire sa fortune, parvenir à une position élevée. Son esprit [du comte d'Estrées] est si fort tourné sur les sciences et sur ce qui s'appelle les belles-lettres, que, s'il n'avait une fort bonne réputation et sur mer et sur terre, je croirais qu'il serait du nombre de ceux que le bel esprit empêche de faire leur fortune, Sévigné, 599. Il y a une différence si immense entre celui qui a sa fortune toute faite et celui qui la doit faire, que ce ne sont pas deux créatures de la même espèce, Voltaire, Lett. Cideville, 26 sept. 1733. Vous qui vous exposez à la plainte importune De ceux dont la valeur a fait votre fortune, Voltaire, Orphel. IV, 2.

    Homme de fortune, celui qui est parti de petits commencements et s'est élevé soit par son mérite soit par les circonstances. C'était un homme de fortune comme vous, Bourdaloue, Carême, I, Pensées de la mort, 16.

    Soldat de fortune, homme de guerre qui s'est élevé des derniers grades aux plus élevés par ses propres efforts. Il ne fit choix, pour un emploi si important et si délicat, que d'un soldat de fortune et par conséquent incapable de lui donner de l'ombrage et de se faire chef de parti, Vertot, Révol. rom. XIV, p. 349. Rosen, étranger et soldat de fortune jusqu'à avoir tiré au billet pour maraude, Saint-Simon, 25, 32. Le duc de Vendôme, parvenu enfin au généralat après avoir passé par tous les degrés depuis celui de garde du roi, comme un soldat de fortune, commandait en Catalogne, où il gagna un combat et il prit Barcelone, Voltaire, Louis XIV, 17. Dioclétien n'était qu'un soldat de fortune, Voltaire, Mœurs, 8.

    Officier de fortune, soldat devenu officier. Les gentilshommes seuls en ont eu l'honneur [d'une affaire politique] ; les officiers de fortune et les bas officiers ont refusé de donner, ayant peu d'envie, disaient-ils, de combattre avec la noblesse, et peu de chose à espérer d'elle, Courier, Lett. particulière.

    Officier de fortune, s'est dit autrefois des officiers qui vendaient leurs services ou s'engageaient à qui voulait les payer. L'officier de fortune, titre d'un roman de W. Scott.

  • 13Les grandes fortunes, les personnes élevées par le rang, par les honneurs, les emplois, les richesses. Chacun est jaloux de ce qu'il est… surtout les grandes fortunes veulent être traitées délicatement ; elles ne prennent pas plaisir qu'on remarque leur défaut, Bossuet, Sermons, la Mort, 1.
  • 14Richesses, biens. Jouir d'une grande fortune. Il est sans fortune. Il n'a point de fortune. Si sa fortune était petite, Elle était sûre tout au moins, La Fontaine, Fabl. IV, 2. Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ; La dame de ces biens, quittant d'un œil marri Sa fortune ainsi répandue…, La Fontaine, ib. VII, 10. Figurez-vous quelle joie ce peut être que de relever la fortune d'une personne que l'on aime, Molière, l'Avare, I, 2. Un zèle de la justice qui assure la fortune des particuliers, Bossuet, le Tellier. Si elle eût eu la fortune des ducs de Nevers ses pères, Bossuet, Ann. de Gonz. Une grande puissance ou une grande fortune annonce le mérite et le fait plus tôt remarquer, La Bruyère, VI. On ne peut mieux user de sa fortune que fait Périandre : elle lui donne du rang, du crédit, de l'autorité, La Bruyère, ib. Il arrive, je ne sais par quels chemins, jusqu'à donner en revenu à l'une de ses filles pour sa dot ce qu'il désirait lui-même d'avoir en fonds pour toute fortune pendant sa vie, La Bruyère, ib. Triste condition de l'homme et qui dégoûte de la vie ! il faut suer, veiller, fléchir, dépendre pour avoir un peu de fortune, ou la devoir à l'agonie de nos proches, La Bruyère, ib. Vous qui ne devez peut-être qu'aux malheurs publics et à des gains odieux ou suspects l'accroissement de votre fortune, Massillon, Carême, Aumône. Vous demandez comment on fait ces grandes fortunes, c'est parce qu'on est heureux, Voltaire, Jeannot et Colin. Ceux qui avaient partie de leur fortune sur la compagnie des Indes, n'ont qu'à se recommander aux directeurs de l'hôpital ; on a bien raison d'appeler son bien fortune ; car un moment le donne, un moment l'ôte, Voltaire, Lett. d'Argental, 2 août 1761. Ses agents font des fortunes incroyables, Raynal, Hist. phil. III, 37.

    Homme de fortune, homme riche. L'Huillier, homme de fortune, prenait un soin singulier de l'éducation du jeune Chapelle, son fils naturel, Voltaire, Vie de Molière.

    Être mal avec la fortune, être besogneux, n'être pas riche. C'était une des plus belles femmes de la ville, assez magnifique pour vouloir aller de pair avec celles qui l'étaient le plus, mais trop mal avec la fortune pour pouvoir en soutenir la dépense, Hamilton, Gramm. 6.

    Faire fortune, gagner de la richesse.

    Je n'ai que faire d'aller en Hollande, ma fortune est faite, se disait, par raillerie, à un homme faisant beaucoup de promesses.

  • 15 Terme de droit coutumier. Fortune d'or, d'argent, or, argent trouvé dans la terre.
  • 16Demi-fortune, voy. ce mot à son rang.

REMARQUE

1. Faut-il dire des bonnes fortunes ou de bonnes fortunes ? J. J. Rousseau, dans l'exemple cité au n° 3, a dit : des bonnes fortunes ; on peut dire en effet ainsi quand on considère la locution comme un seul mot. Mais on peut aussi dire de bonnes fortunes, en considérant bonnes fortunes en deux mots.

2. À propos du vers d'Horace cité au n° 9, Voltaire dit : " Ce mot de fortunes au pluriel ne doit jamais être employé sans épithète : bonnes et mauvaises fortunes, fortunes diverses, mais jamais des fortunes. " Les exemples qui accompagnent celui de Corneille montrent que la remarque de Voltaire est trop étroite.

HISTORIQUE

XIIIe s. De fortune me tourne diversement la roe, Berte, XXXIII. Fortune secort les hardiz, Si comme conte li escriz, Ren. 13609. Fortune comprent ce qui avient à home de bien et de mal, Latini, Trésor, p. 530. Por ce, dient li plusor, que fortune est aveugle, et qu'elle tornoie tozjors sa roe en non veant, Latini, ib. p. 441.

XIVe s. L'en ne conseille pas des choses qui aviennent à la fortune, si comme seroit trouver un tresor à cas d'aventure, Oresme, Eth. 66. Une question est à savoir se l'en a plus grant mestier d'amis en bonnes fortunes ou en infortunes, Oresme, ib. 288. Par fortune de feu, qui, d'aventure ou autrement, se povoit prendre ou estre boutez par aucuns malfaitteurs, Ord. des rois de Fr. t. III, p. 668.

XVe s. Si j'estois pris ou arresté par aucun cas de fortune, Froissart, I, I, 108. Leurs vaisseaux eurent si grand fortune sur mer… que plusieurs de leurs nefs furent peries…, Froissart, I, I, 159. [Le sire de l'Esparre] eut une fortune de vent sur mer qui le bouta en la mer d'Espaigne, Froissart, II, II, 4. Congnoistre que les graces et bonnes fortunes viennent de Dieu, Commines, I, 4. Que chascun se retyre en son logis et se tienne prest, sans soy esbayr de fortune qui advienne, Commines, I, 13. Toutes ces grandes fortunes leur sont advenues en trois mois d'espace [il s'agit d'une suite de malheurs qu'on vient d'énumérer], Commines, VIII, 17.

XVIe s. Combien que ce tapissier, par fortune de maladie, fust devenu sourd, Marguerite de Navarre, Nouv. XLV. Une fortune ne vient jamais seule, Despériers, Contes, v. Après sa mort vous aurez la maison, si elle n'est vendue, alienée, ou tombée en fortune de feu, Despériers, ib. LI. En recognoissance d'une si illustre fortune [victoire], Montaigne, I, 19. J'avoy, de fortune, en mes coffres…, Montaigne, I, 95. La condition de sa fortune [richesse] le luy permettoit, Montaigne, I, 281. Regardez pour quoy celuy là s'en va courre fortune de son honneur et de sa vie à tout son espée, Montaigne, IV, 167. Si s'embarqua tout incontinent, et eut le temps si à propos, qu'il traversa la mer sans fortune [accident] jusques à Brindes, Amyot, Caton, 29. Hannibal estoit lors vieil et cassé, sans force ne puissance aucune, comme un homme que la fortune avoit de tout poinct ruiné et foulé aux pieds, Amyot, Flam. 39. Il est force que nous tentions encore la fortune, Amyot, Pomp. 105. Je luy appris encore à dire souvent… interesser, prendre la garantie, faire fortune, courir risque… et mille autres termes en cette façon, à quoy on connoit aujourduy une belle ame, D'Aubigné, Conf. II, 1. Nous ne sommes ny à l'empereur ny au roy de France, mais soldats de fortune, qui la cherchons partout où nos advertissements nous guident, Carloix, VI, 18. Quand il [Charles-Quint] sceust que non [que la victoire de Saint-Quentin n'avait pas été poursuivie], il dict qu'en son aage et en ceste fortune de victoire, il ne se fust arresté en si beau chemin, Brantôme, Charles-Quint. La fortune aide à trois sortes de personnes, aux fols, aux yvrognes et aux petits enfants, Oudin, Curios. fr. Mieux vaut une once de fortune qu'une livre de sagesse, Cotgrave Contre fortune, force aucune, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 277. En ce monde fortune et infortune abonde, Leroux de Lincy, ib. p. 292.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. forteugne ; provenç. espagn. et ital. fortuna ; du lat. fortuna, de fors, sort, rapporté à ferre et à la grande racine sanscrite bhar, porter, produire. Quant au suffixe una, qu'on retrouve dans Neptunus, importunus, on le rapproche du suffixe umnus qui est dans Vertumnus ; ce suffixe mnus n'est lui-même qu'une contraction du suffixe participial menus,

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

FORTUNE.
3Ajoutez :

Faire la bonne fortune de quelqu'un, d'un ouvrage, assurer son succès (locution vieillie). Rodogune se présente à Votre Altesse avec quelque sorte de confiance, et ne peut croire qu'après avoir fait sa bonne fortune, vous dédaigniez de la prendre en votre protection, Corneille, Rod. Epître.