« coeur », définition dans le dictionnaire Littré

coeur

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cœur

(keur) s. m.

Résumé

  • 1° Organe qui meut le sang.
  • 2° la poitrine.
  • 3° l'ensemble des facultés affectives et des sentiments moraux.
  • 4° mémoire des sentiments.
  • 5° sens moral, conscience.
  • 6° tempérament moral.
  • 7° la pensée intime, les dispositions secrètes.
  • 8° l'affection, la tendresse, l'amour.
  • 9° la personne elle-même qui éprouve ces divers sentiments.
  • 10° ardeur, vif intérêt.
  • 11° courage, fermeté.
  • 12° générosité.
  • 13° le principal agent, le principal intérêt.
  • 14° l'estomac.
  • 15° la partie centrale de quelque chose.
  • 16° ce qui a forme de cœur.
  • 17° terme de manége.
  • 18° terme de blason.
  • 19° terme d'astronomie.
  • 20° terme d'horticulture.
  • 21° terme de métier.
  • 22° terme de boucherie.
  • 1 Terme d'anatomie. Organe conoïde, creux et musculaire qui, renfermé dans la poitrine, est le principal agent de la circulation du sang. Les battements du cœur. Grande reine, je satisfais à vos plus tendres désirs, quand je célèbre ce monarque ; et ce cœur, qui n'a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre qu'il est, et devient sensible, même sous ce drap mortuaire, au nom d'un époux si cher, Bossuet, Reine d'Anglet. Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur ; Chaque membre en souffrit ; les forces se perdirent, La Fontaine, Fabl. III, 2. Tout abattu qu'il fût, il demeura vainqueur ; Son sang fut en cent lieux le prix de sa victoire ; Et Mars ne lui laissa rien d'entier que le cœur, Épitaphe du mar. de Rantzau, dans RICHELET.

    Tant que le cœur me battra, me battra au ventre, dans le ventre, c'est-à-dire tant que je vivrai.

    Fig. Le cœur me bat, je suis très inquiet.

    Faire la bouche en cœur, donner aux lèvres la forme d'un cœur, les resserrer d'une façon mignarde ; et fig. S'efforcer de paraître gracieux.

    Fig. Il voudrait lui manger le cœur, lui arracher le cœur, il le hait mortellement.

    Se ronger le cœur, se consumer d'un chagrin secret. Y a-t-il rien de plus sot que de vouloir porter continuellement un fardeau qu'on veut toujours jeter par terre ; d'avoir son être en horreur et de tenir à son être ; enfin de caresser le serpent qui nous dévore, jusqu'à ce qu'il nous ait mangé le cœur ? Voltaire, Candide, 11.

    Le cœur me saigne, je suis pénétré d'une vive douleur. Le cœur saigne en lisant le récit de ces cruautés.

    Avoir le cœur gros, éprouver le besoin de pleurer, de soupirer, de sangloter, ressentir un chagrin profond. Le cœur gros de soupirs.

    Je veux en avoir le cœur net, je veux savoir ce qui en est.

    Sacré-Cœur, dévotion au cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui s'est développée au commencement du XVIIIe siècle

    Congrégation de religieuses consacrées à l'adoration du cœur de Jésus-Christ et qui se dévouent aussi à l'éducation des jeunes filles.

  • 2 Par extension, la poitrine. Il le pressa tendrement contre son cœur. Jamais sans défiance avez-vous pu d'un frère Presser le sein sur votre cœur ? Gilbert, Ode à Salm. Riant et m'asseyant sur lui, près de son cœur, Chénier, 70.
  • 3L'ensemble des facultés affectives et des sentiments moraux, par opposition à esprit, qui est l'ensemble des facultés intellectuelles ; cet emploi du mot cœur provient d'une opinion ancienne et erronée qui plaçait le siége des passions dans le cœur, parce que cet organe en ressentait immédiatement des effets manifestes. Attendrir, toucher le cœur de quelqu'un. Avoir le cœur navré, oppressé. L'homme croit souvent se conduire lorsqu'il est conduit ; et, pendant que par son esprit il tend à un but, son cœur l'entraîne insensiblement à un autre, La Rochefoucauld, Max. 43. L'esprit est toujours la dupe du cœur, La Rochefoucauld, ib. 102. Chacun dit du bien de son cœur, et personne n'en ose dire de son esprit, La Rochefoucauld, ib. 98. Je sais que tous les lieux sont égaux pour les esprits bien faits ; mais il n'en est pas de même quand les esprits bien faits ont des cœurs sensibles, Voltaire, Lett. Chauvelin, 25 août 1763. Le cœur, dès qu'il est touché, ne tarit point, Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 90. Ils habitaient un bourg plein de gens dont le cœur Joignait aux duretés un sentiment moqueur, La Fontaine, Phil. et Bauc. J'en ai le joie au cœur Par le chagrin qu'aura ce lâche déserteur, Molière, Femmes sav. V, 5. Et le plus sûr moyen de gagner leur faveur [des grands], C'est de flatter toujours le faible de leur cœur, Molière, D. Garc. II, 1. Il dit en soupirant que la nuit de sa vue Ne l'empêche pas tant que la nuit de son cœur, Malherbe, I, 4. Avec des vers bien faits, bien compassés, on ne tient rien si le cœur n'est ému, Voltaire, Lett. d'Argental, 16 déc. 1760. Les cœurs sont-ils donc faits à Paris autrement que chez moi ? Voltaire, Lett. d'Argental, 17 sept. 1760. Le bel art de la déclamation, c'est-à-dire l'art de se rendre maître des cœurs, Voltaire, Lett. Albergati, 14 fév. 1763. Il faut que le cœur seul parle dans l'élégie, Boileau, Art poét. II. Dieu connaît le caractère de nos cœurs et jusqu'où va notre faiblesse, Massillon, Avent, Afflict. Et déjà le chagrin pesait moins sur mon cœur, Saint-Lambert, Saisons, hiver. Pourquoi de mes loisirs accuser la langueur ? Pourquoi vers des lauriers aiguillonner mon cœur ? Chénier, Élég. VIII. Et les arts, dans un cœur de leur amour rempli, Versent de tous les maux l'indifférent oubli, Chénier, ib. XVI.

    Parler, aller au cœur, toucher vivement, intéresser. Cette grâce qui m'allait droit au cœur, Sévigné, 79.

    Le cœur me le disait bien, j'en avais le pressentiment.

    De cœur, par la disposition intérieure. Les dévots de cœur, Molière, Tart. I, 6. Mortifié dans l'abondance, pauvre de cœur au milieu des biens périssables, Massillon, Avent, Afflict. La loi qui nous oblige à croire de cœur, Massillon, Car. Culte. Qui la cherche de cœur [la vérité] un jour peut la connaître, Voltaire, Henr. I.

    De cœur, avec un sentiment sincère. Attaché de cœur à la famille de ses rois.

    Ami de cœur, ami dévoué, sincère.

    De gaieté de cœur, de propos délibéré, et sans sujet.

  • 4Le cœur considéré comme mémoire des sentiments. Vos bienfaits sont gravés dans mon cœur. Il faut ne rien garder sur votre cœur, Sévigné, 509.

    Avoir quelque chose sur le cœur, garder, entretenir un ressentiment. J'aurai toujours ce coup-là sur le cœur, Molière, Fâch. II, 2. J'ai ce soufflet fort sur le cœur, Molière, Sicil. 13. J'ai cette insulte sur le cœur, Molière, Fourb. II, 27. J'ai quelque chose sur le cœur contre vous, Sévigné, 296. Nous avons ces réponses sur le cœur, Sévigné, 234. Elle emporta tout cela sur son cœur avec la rage pêle-mêle, Sévigné, 35. Il avait encore sur le cœur la perfidie du Suisse, Hamilton, Gramm. 3. N'osant lui parler de ce qu'il avait sur le cœur, Hamilton, ib. 7. Il fut bien aise de dire une partie de ce qu'il avait sur le cœur, Hamilton, ib. 5. Une femme à qui l'on joue ce tour dit volontiers à son adverse partie ce qu'elle a sur le cœur, Voltaire, Lett. d'Argental, 23 déc. 1762.

    Décharger son cœur, dire sans réticence ce qui préoccupe.

    Par cœur, de mémoire. Locution qui vient d'une extension de la mémoire du cœur à la mémoire de l'esprit. Le peuple apprit par cœur ce divin cantique, Bossuet, Hist. II, 3. Qui ont lu et appris par cœur le même livre, Pascal, Persuad.

    Fig. Savoir un homme par cœur, connaître parfaitement son caractère et sa vie. Votre homme arrive ; je l'ai étudié une bonne grosse demi-heure, et je le sais déjà par cœur, Molière, Pourc. I, 4.

    Familièrement. Dîner par cœur, se passer involontairement de dîner. Cette locution paraît s'être dite d'abord de celui qui, au lieu de dîner, parlait, racontait, récitait, et de la sorte se passait de manger.

  • 5Sens moral, conscience. Et renverser soudain la paix de votre cœur, Comme un enfant renverse un verre, Hugo, Voix intér. IX. Pour juge il a son cœur, pour amis ses égaux, Saint-Lambert, Saisons, automne. Je n'ai point sur mon cœur de m'être divertie, Sévigné, 21. Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur, Racine, Phèd. IV, 2.

    Sans cœur, sans sentiment moral. Et moi, reine sans cœur, fille sans amitié, Racine, Athal. II, 7. [Elle] Dit que j'étais sans foi, sans cœur, sans conscience, Corneille, Médée, I, 1.

    Par extension. Tant de marbres réputés beaux sont sans âme, sans cœur, et vous laissent aride, Vitet, Marbres d'Éleusis. Revue des Deux-Mondes, t. XXVI, p. 221.

    Familièrement. Un sans cœur, un homme dépourvu de sentiment moral et d'énergie. C'est un grand sans cœur.

  • 6Tempérament moral. Avoir bon cœur. Avoir un mauvais cœur. Cœur égoïste. Il a le cœur gâté, corrompu. Plus on vieillit, dit-on, plus on a le cœur dur, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 20 nov. 1765. C'est l'affaire dont vous avez parlé à Mme la duchesse de la Rochefoucauld, qui occupe actuellement ma vieille tête et mon jeune cœur, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 31 déc. 1774. Je reconnais cela, madame, avec ce cœur que vous savez que j'ai, Voiture, Lett. 16. Ce cœur qui est si fort au-dessus des sceptres et des couronnes, et ces grâces qui vous font régner sur toutes les volontés, Voiture, ib. 7. Cœur perfide, Racine, Andr. II, 5. Et mon cœur aussi fier que tu l'as vu soumis, Racine, ib. Cœur d'acier, Corneille, Hor. III, 2. Son cœur né fier et qui jusqu'à ce temps Avait été nourri d'un doux encens, Gresset, Ver-vert, III.

    Cœur de vipère, caractère plein de méchanceté et de perfidie. Dans toutes les fureurs des siècles de tes pères, Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien, Que l'inhumanité de ces cœurs de vipères Ne renouvelle au tien ? Malherbe, II, 12.

    Cœur d'airain, caractère impitoyable. Avec un cœur d'airain exerçant sa puissance, J'ai fait taire les lois et gémir l'innocence, Racine, Esth. III, 1. Et la religion, mère autrefois sensible, S'arme d'un cœur d'airain contre ses fils ingrats, Gilbert, Jugem. dernier. On dit dans un sens analogue, cœur de marbre, de pierre, de diamant, cœur de tigre.

    Avoir, porter un cœur d'homme, être sensible, avoir des sentiments humains.

    C'est un cœur d'or, c'est un excellent cœur.

    Il a le cœur haut et la fortune basse, se dit d'un homme qui est glorieux et pauvre. Prendre son cœur par autrui, se mettre en la place d'un autre.

    Le bon cœur, l'ensemble des sentiments qui constituent la bienveillance pour autrui. Le bon cœur est chez vous compagnon du bon sens, La Fontaine, Fabl. XII, 23. Une certaine sensibilité qui est la marque d'un bon cœur, Massillon, Car. Parole.

    Mauvaise tête et bon cœur, personne vive et emportée, mais dont, au fond, les sentiments sont pleins de bienveillance.

    Un bon cœur, un mauvais cœur, une personne qui a un bon, un mauvais cœur.

    De bon cœur, loc. adv. Volontiers, sincèrement. Jamais de si bon cœur je ne brûlai pour elle, Malherbe, V, 24. Je vous pardonnerai de bon cœur tout ce crime, Tristan, M. de Chrispe, III, 4. Je baise de bon cœur les verges que tu tiens, Tristan, ib. V, 9. Elle est fort affligée et pleure de bon cœur, Sévigné, 214. Je suis au monde unique en mon espèce. - Pauvre immortel ! je vous plains de bon cœur, Millevoye, le Phénix.

    De grand cœur, très volontiers. Voulez-vous m'écouter ? - Sans doute et de grand cœur, Molière, Éc. des maris, II, 3.

    Être tout cœur, être vif à obliger. Il est tout cœur pour ses amis, il est pour eux plein d'attachement et de désir de les servir.

    De tout son cœur, avec une pleine affection. Je salue madame votre sœur de tout mon cœur, Bossuet, Lett. abb. 47. Ils condamnent cette hérésie de tout leur cœur, Pascal, Prov. 18.

    De tout cœur, avec la meilleure volonté du monde.

    Absolument, cœur dans le sens de bon cœur, de cœur bien doué. C'est le cœur qui fait tout ; que la terre et que l'onde Apprêtent un repas pour les maîtres du monde, Ils lui préféreront les seuls présents du cœur, La Fontaine, Phil. et Bauc. Parlerai-je d'Iris ? chacun la prône et l'aime : C'est un cœur, mais un cœur… c'est l'humanité même, Gilbert, XVIIIe siècle. L'art des transports de l'âme est un faible interprète ; L'art ne fait que des vers, le cœur seul est poëte, Chénier, Élég. XX. Si, pauvre et généreux, son cœur vient de souffrir Aux cris d'un indigent qu'il n'a pu secourir, Chénier, ib.

  • 7La pensée intime, les dispositions secrètes. Montrant que dans le cœur ce voyage le fâche, Malherbe, I, 4. On s'est plus appliqué aux vices de l'esprit, aux replis du cœur et à tout l'intérieur de l'homme, La Bruyère, Disc. sur Théophr. Il ne faut pas juger des hommes sur une seule et première vue : il y a un intérieur et un cœur qu'il faut approfondir, La Bruyère, XII. Il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, parle, agit contre ses sentiments, La Bruyère, VIII. Connaître un bon visage, et juger si le cœur, Contraire à ce qu'on voit, ne serait pas moqueur, Régnier, Sat. III. Vous avez vu plus tôt que moi un sentiment qui était caché dans mon cœur, Voiture, Lett. 16. Ces enfants bien heureux… Ayant Dieu dans le cœur, ne le purent louer, Malherbe, I, 4. La constance des sages n'est que l'art de renfermer leur agitation dans leur cœur, La Rochefoucauld, Max. 20. La sincérité est une ouverture de cœur, La Rochefoucauld, ib. 62. Je veux qu'on soit sincère et qu'en homme d'honneur On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur, Molière, Mis. I, 1. Il est bon quelquefois de sentir des traverses Et d'en éprouver la rigueur, Elles rappellent l'homme au milieu de son cœur, Et peignent à ses yeux ses misères diverses, Corneille, Imit. I, 12. C'est dans cette simplicité champêtre que se trouve la vérité et l'effusion du cœur, Voltaire, Lett. Schouvalof, 19 déc. 1762. C'est du cœur que je vous demande cette grâce, Sévigné, 395. Crois-tu… Qu'Andromaque en son cœur n'en sera pas jalouse ? Racine, Andr. II, 5. Il n'est que trop instruit de mon cœur et du vôtre, Racine, Brit. III, 7. Télémaque ouvrit son cœur à son ami, Fénelon, Tél. XXII. En m'éveillant je reconnus l'embarras de Néoptolème ; il soupirait comme un homme qui ne sait dissimuler et qui agit contre son cœur, Fénelon, Tél. X. Et nous ouvrant son cœur nous ouvrit ses trésors, Corneille, Pomp. I, 3. Dans l'entretien où, m'ayant ouvert votre cœur, j'y vis tant de résolution, de force et de générosité, Voiture, Lett. 34.

    Selon le cœur de Dieu, pieux, aimé de Dieu. David que Dieu trouva selon son cœur, Bossuet, Hist. II, 3. Un roi selon le cœur de Dieu, Fléchier, Dauph.

    Dans le langage général, selon le cœur de, agréable à. La première chose que le roi fait avec ce nouveau pape qui est entièrement selon son cœur et au delà de nos espérances, c'est de lui rendre le Comtat, Sévigné, 592.

    Dans le langage de l'Écriture, les cœurs des rois sont dans la main de Dieu. Mais, comme dit le Sage, autant que le ciel s'élève, et que la terre s'incline au-dessous de lui, autant le cœur des rois est impénétrable, Bossuet, le Tellier.

    À cœur ouvert, avec franchise, sincérité, effusion. Parler à cœur ouvert. Souffrez qu'à cœur ouvert, monsieur, je vous embrasse, Molière, Mis. I, 2.

    Avoir le cœur sur les lèvres, avoir le cœur sur la main, ne pas déguiser sa pensée, ses sentiments.

    Parler d'abondance de cœur, parler du cœur, parler avec épanchement. Pour chercher un ami qui me parle du cœur, Racine, Bérén. I, 4. Nous parlâmes du cœur, comme deux vieux amis, Au foyer l'un de l'autre à la campagne admis, Lamartine, Harm. III, 6.

    Se parler cœur à cœur, se parler avec franchise.

  • 8L'affection, la tendresse, l'amour. Se concilier tous les cœurs. Régner sur les cœurs. L'extrême joie qu'on m'a donnée en me mandant que j'étais tout entier dans le cœur de cet homme que vous savez qui est si fort selon le mien, Voiture, Lett. 42. Hyménée et l'Amour, par des désirs constants, Avaient uni leurs cœurs dès leur plus doux printemps, La Fontaine, Phil. et Bauc. Sans mentir, mademoiselle, ce ne vous est pas peu de gloire d'avoir pu allumer le cœur d'un homme aussi froid que je suis, Voiture, Lett. 42. Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer ! La Fontaine, Fabl. IX, 2. Je veux encore un coup montrer un cœur de père, Corneille, le Ment. V, 3. Ayons un cœur dont nous soyons les maîtres, Molière, le Fest. III, 6. Sévère lui avait gagné le cœur des soldats, Bossuet, Hist. I, 10. J'ai fort dans le cœur M. et Mme Scomberg, Bossuet, Lett. 45. Toutes les choses où j'ai mis mon cœur, Pascal, Prière. Le petit cardinal a son oncle dans le cœur, Sévigné, 219. Je ne vous demande que votre cœur, Fénelon, Tél. IV. Un roi fait ce qu'il veut des cœurs : tous les protestants sont prêts à mourir pour son service, Voltaire, Lett. Damilaville, 16 avril 1765. Emporter après lui tous les cœurs des soldats, Racine, Baj. I, 1. Pour m'arracher du cœur de ses soldats, Racine, ib. Sans me faire payer son salut [le salut de mon fils] de mon cœur, Racine, Andr. I, 4. J'attends avec la paix son cœur de votre main, Racine, ib. II, 4. Si vous faites ce petit voyage que vous avez projeté dans nos cantons, vous verrez tous les cœurs voler au-devant de vous, Voltaire, Lett. Thiroux, mars 1763. Puis-je espérer encore Que vous accepterez un cœur qui vous adore ? Racine, Andr. I, 4. Elle aura quelque trait qui, de mes sens vainqueur, Me passant par les yeux, me blessera le cœur, Régnier, Sat. VII. Il ira, le cœur plein d'une image divine, Chercher si quelques lieux ont une Clémentine, Chénier, Élég. XI.

    Ces deux personnes ne font qu'un cœur et une âme, elles sont liées par la plus étroite affection. Les deux princesses ne furent plus qu'un même cœur, Bossuet, Anne de Gonz.

    Son cœur commence à parler, son cœur a parlé, se dit d'une jeune personne qui éprouve les premiers sentiments de l'amour.

    Affaire de cœur, commerce de galanterie.

  • 9La personne elle-même qui éprouve ces divers sentiments. Je me tiens très heureux d'avoir une si grande place dans le meilleur cœur de France, Voiture, Lett. 42. Deux démons à leur gré partagent notre vie ; Je ne vois point de cœur qui ne leur sacrifie, La Fontaine, Fabl. X, 10. Il peut trouver du moins, dans le cours de sa vie, Un cœur sans injustice, un ami sans envie, Saint-Lambert, Saisons, automne. Des cœurs séparés à regret Trouvent de se rejoindre aisément le secret, Corneille, Othon, II, 4. Un cœur né pour servir sait mal comme on commande, Corneille, Pomp. IV, 2. Que ne fait point un cœur Pour plaire à ce qu'il aime et gagner son vainqueur ? Racine, Bérén. II, 2. Cœur accablé de déplaisirs, Racine, Andr. II, 1. Cœur épris de courroux, Racine, ib. I, 1. D'un cœur qui t'aime, Mon Dieu, qui peut troubler la paix ? Racine, Athal. III, 8. J'aime mieux renoncer à tout cet embarras, Et ne veux point d'un cœur qui ne se donne pas, Molière, F. sav. V, 4. Avez-vous un secret important, versez-le hardiment dans ce noble cœur, Bossuet, Duch. d'Orl.

    Familièrement. Bien que d'un cabinet sortît un petit cœur, Avec son chaperon, sa mine de poupée, Régnier, Sat. X. De s'entendre appeler petit cœur ou mon bon, Boileau, Sat. X. Elle a eu l'effronterie de me dire que je ne suis point malade ; vous savez, mon cœur, ce qui en est, Molière, Mal. im. I, 6. Mon pauvre petit cœur, tu le peux si tu veux, Molière, Éc. des f. V, 5.

    Un joli cœur, un jeune homme qui prend un soin particulier de sa toilette.

    Faire le joli cœur, se donner des grâces.

  • 10Ardeur, vif intérêt. Il a le cœur à l'étude. Amour enfin qui prit à cœur l'affaire, La Fontaine, Coc. Il s'agit d'une affaire que j'ai fort à cœur, Bossuet, Lett. 109. Il prend trop de cœur à ce qu'il entreprend, Pascal, Prov. III. Qui croyez-vous qui prenne les choses à cœur? Pascal, ib. Il n'eut plus de cœur que pour lui, Fléchier, M. de Mont. Il avait mis son cœur à ce mariage, Rousseau, Hél. I, 40. Des haines qui, en refusant le cœur au devoir, ont assez d'empire sur elles, pour donner les apparences au monde, Massillon, Car. Pardon. J'avais peur Que mon père ne prît l'affaire trop à cœur, Racine, Plaid. II, 6. Vous prenez la chose fort à cœur, Molière, les Préc. 1. Il avait le cœur trop au métier, Racine, Plaid. I, 1.

    Avoir à cœur quelque chose, y prendre un vif intérêt. Ils n'ont rien tant à cœur que de voir la concorde régner, Massillon, Or. fun. Louis XI. Tenir au cœur, être l'objet d'un attachement, d'un désir, d'un intérêt. Le reste ne lui tenait plus au cœur, Sévigné, 216. Cela est au premier rang de ce qui me tient le plus au cœur, Sévigné, 202. On aime fort ce détail pour les choses qui tiennent au cœur, Sévigné, 5. Les choses qui nous tiennent sensiblement au cœur, Sévigné, 570. Une beauté me tient au cœur, Molière, Fest. I, 2. La Sicile ravie leur tenait au cœur, Bossuet, Hist. I, 8. Diantre ! l'amour vous tient au cœur de bon matin, Racine, Plaid. I, 5.

    Tenir au cœur, être l'objet d'une inquiétude, d'un tourment. Le Rhône me tient fort au cœur, Sévigné, 23. Votre frère me tient fort au cœur, Sévigné, ib. Ce maître d'armes vous tient bien au cœur, Molière, le Bourg. III, 3.

  • 11Courage, fermeté. Homme de cœur, homme plein de courage. La rigueur de ses lois, après tant de licence, Redonnera le cœur à la faible innocence, Malherbe, II, 1. … Vous vous troublez beaucoup ; Mon cœur n'est point du tout ébranlé de ce coup, Molière, F. sav. V, 4. À la fin je pris cœur, résolu d'endurer…, Régnier, Sat. X. Non, non, j'ai trop de cœur pour lâchement me rendre, Régnier, Élég. I. Si tu connaissais tes péchés, tu perdrais cœur, Pascal, Myst. 2. Rodrigue, as-tu du cœur? Corneille, Cid, I, 9. Nous vous laissons ici pour leur rendre du cœur, Corneille, Hor. II, 7. Et ne vous flattez pas ni sur votre grand cœur Ni sur l'éclat d'un nom cent et cent fois vainqueur, Corneille, Nicom. I, 1. … Tant de fois vaincus ils ont perdu le cœur De se plus hasarder contre un si grand vainqueur, Corneille, Cid, II, 7. Ces favorables mots vous ont rendu le cœur, Corneille, Tois. d'or, IV, 5. Un orgueil noble et juste et digne d'une reine, Qui soutient avec cœur et magnanimité L'honneur de sa naissance et de sa dignité, Corneille, Pomp. III, 1. Sans qu'on l'ose accuser d'avoir manqué de cœur, Corneille, Cid, V, 1. [Il] m'a fait voir trop de cœur, Corneille, le Ment. III, 2. En vain en l'attaquant [il] fait paraître un grand cœur, Corneille, Hor. IV, 4. S'il avait moins de cœur, Corneille, Cid, II, 7. S'il la sauve, peut-être on trouvera dans Rome Plus de cœur que de crime en l'ardeur d'un jeune homme, Corneille, Théodore, V, 7. Antigone Gonatas reprit cœur, pendant que Pyrrhus, inquiet et ambitieux, faisait la guerre aux Lacédémoniens et aux Argiens, Bossuet, Hist. univ. I, 8. Ils ne voulaient pas qu'on s'y prît d'une manière à lui faire perdre cœur, Bossuet, Var. 10. Le parti a repris cœur et fait les derniers efforts, Bossuet, Lett. quiét. 341. Ce discours ébranla le cœur De notre imprudent voyageur ; Mais le désir de voir et l'humeur inquiète…, La Fontaine, Fabl. IX, 2. Battre un homme à coup sûr n'est pas d'une belle âme ; Et le cœur est digne de blâme Contre les gens qui n'en ont pas, Molière, Amph. I, 2. Si l'heureux Amurat, secondant leur grand cœur, Aux champs de Babylone est déclaré vainqueur, Racine, Baj. I, 1. Surtout j'admire en vous ce cœur infatigable, Racine, Mithr. III, 1. Il faut du cœur et de l'action, Fléchier, Serm. I, 169. Un dessein si hardi jeta les patriciens et le peuple dans une consternation générale ; tous manquent de cœur et de résolution, Vertot, Révol. rom. liv. II, p. 201.

    Familièrement. Prendre son cœur à deux mains, faire tous ses efforts, ou prendre son grand courage.

    Familièrement. Avoir le cœur de, pousser la dureté, l'indifférence jusqu'à. Vous n'aurez pas ce cœur-là, Molière, Mal. im. I, 5. Comment avez-vous le cœur de mêler avec leurs fruits des ossements ? Rousseau, Ém. II.

    Un cœur de lion, un homme d'un extrême courage.

    Un cœur de poule, un poltron. Ah ! poltron ! dont j'enrage, Lâche ! vrai cœur de poule, Molière, Sganar. sc. 21.

    Mettre, remettre le cœur au ventre à quelqu'un, lui rendre le courage. Cette locution vient du langage du moyen âge, où le cœur est joint souvent à ventre, pris en un sens très général de tronc du corps ; locution qui provient elle-même de ce qu'on se sent plus de force et de courage après avoir bien mangé.

    Faire contre mauvaise fortune, ou, absolument, contre fortune bon cœur, ne pas se laisser abattre et aussi ne pas laisser paraître sur son visage le désappointement, la peine qu'on éprouve.

  • 12Générosité. Être plein de cœur.

    Grand cœur, magnanimité. Seigneur, vous devez tout au grand cœur d'Exupère, Corneille, Héracl. V, 4. Henriette d'un si grand cœur est contrainte de demander du secours ; Anne d'un si grand cœur ne peut en donner assez, Bossuet, Reine d'Anglet.

    Un grand cœur, une personne magnanime. Mais de cette faiblesse un grand cœur est honteux ; Il ose espérer tout dans un succès douteux, Corneille, Hor. I, 1. N'attendez point de moi de regrets ni de larmes : Un grand cœur à ses maux applique d'autres charmes, Corneille, Pomp. V, 1. La grâce est aux grands cœurs honteuse à recevoir ; La menace n'a rien qui les puisse émouvoir, Corneille, Suréna, IV, 4. Un grand cœur cède un trône et le cède avec gloire ; Cet effort de vertu couronne sa mémoire, Corneille, Rodog. II, 5. Au travers des périls un grand cœur se fait jour, Racine, Andr. III, 1. Jamais dans un grand cœur vit-on plus de faiblesse ? Racine, Bérén. III, 2.

    Homme de cœur, homme qui a de la générosité, de la sensibilité.

    N'avoir point de cœur, être dépourvu de toute sensibilité, de toute noblesse d'âme.

  • 13Le principal agent, le principal intérêt. Le parti du duc et de mon frère Dont l'un est votre cœur, si l'autre est votre bras, Rotrou, Vencesl. I, 1. Quand à ton père usé je rendis la vigueur, J'avais encor tes vœux, j'étais encor ton cœur, Corneille, Médée, III, 3. Le prince de Conti fut le cœur et le confident de M. de Luxembourg dans ses dernières années, Saint-Simon, 220, 212.
  • 14 Par extension, l'estomac : dénomination qui vient de ce que, dans l'ancienne anatomie grecque, on donnait le nom de cœur à l'orifice cardiaque ou supérieur de l'estomac, et le nom de douleur de cœur aux douleurs de l'estomac. Des soulèvements de cœur. J'ai encore mon dîner sur le cœur.

    Avoir le cœur noyé, noyé d'eau, être incommodé pour avoir bu trop d'eau.

    Fig. Cela lui pèse sur le cœur, c'est quelque chose qui lui cause du chagrin, de la rancune.

    Ce vin va au cœur, il fait plaisir.

    Avoir mal au cœur, être pris de nausées. Sur mer j'ai mal au cœur. Celles qui ont dîné ont mal au cœur, Sévigné, 185.

    Mal de cœur, envie de vomir. À moitié chemin, j'eus un grand mal de cœur, Sévigné, 58.

    Fig. Cela fait mal au cœur, fait soulever le cœur se dit d'une chose qui excite le dégoût, l'aversion, le chagrin. Une douceur fade qui fait mal au cœur, Molière, Impr. 3. Avec un style si bourgeois et si ridicule, que cela fait mal au cœur, Vauvenargues, Du goût. Les violons de la cour font mal au cœur au prix de ceux-là, Sévigné, 73. Il est d'une faiblesse à faire mal au cœur, Sévigné, 44. Les louanges me font mal au cœur, Sévigné, 235. Tout ce qui ressemble à une séparation fait bien mal au cœur, Sévigné, 462. Ce qui vient de sa part lui fait soulever le cœur, Bossuet, Resp. 1. De ce raccommodement vint un fils qui réduisit la jeune princesse de Bade à l'état ordinaire pour les biens, dont sa belle-mère eut grand mal au cœur, Saint-Simon, 168, 259.

    Si le cœur vous en dit, si vous avez envie d'en manger ; et fig. Si vous êtes disposé à cela.

    Avoir le cœur bon, avoir l'appétit bon, se dit d'un malade qui conserve de l'appétit.

    Cet homme a bon cœur, il ne rend rien, se dit d'un homme dont l'estomac ne rejette pas ce qu'il mange ; et, figurément, de celui qui ne rend pas ce qu'on lui prête.

    Avoir le cœur sur le bord des lèvres, et, simplement, sur les lèvres, être prêt à vomir.

    Avoir le cœur mort, se sentir très faible.

    Populairement. N'être pas malade de cœur, conserver un bon appétit.

    S'en donner au cœur joie, à cœur joie, jouir pleinement, se rassasier d'une chose.

    À cœur jeun, sans avoir mangé de la journée. Locution qui vieillit.

  • 15 Par analogie, la partie centrale de quelque chose. Il est logé au cœur de la ville. Le cœur d'un fruit, d'un chou. Je veux qu'elle me voie au cœur de ses États Soutenir ma fureur d'un million de bras, Corneille, Nicom. V, 7. Dans le cœur de son empire, Bossuet, Hist. I, 8. Il y avait au cœur de la Judée des hommes choisis, Pascal, Juifs, 20. Plus les chênes croissent vite, plus ils forment de cœur, et meilleurs ils sont pour le service, Buffon, Exp. sur les végét. 2e mém. Les vieilles souches [de vigne] sont pourries jusqu'au cœur, et le fruit n'en vaut guère, Courier, I, 272. Je relève sous l'eau les tiges abattues, Je secoue au soleil les cœurs de mes laitues, Lamartine, Joc. IX, 281.

    Fig. Au cœur de l'été, de l'hiver, pendant les plus grandes chaleurs, les plus grands froids. Évitez le cœur de l'hiver pour revenir, Sévigné, 355. On était au cœur d'un hiver extrêmement rude, Hamilton, Gramm. 8. Les Suédois faisaient la guerre au cœur de l'hiver comme dans l'été, Voltaire, Charles XII, 2. Éveillés à minuit au cœur de l'hiver, Rousseau, Ém. II.

    Cœur de cheminée, le milieu de la cheminée, où est ordinairement une plaque. Il est noir comme le cœur de la cheminée.

    À cœur de journée, sans relâche. Locution qui paraît venir de ce que le cœur de la journée est pris pour le fort du travail. Murce avait un jeune valet qu'il appelait marcassin et qui se moquait de lui à cœur de journée, Saint-Simon, 164, 168.

  • 16Ce qui a la forme d'un cœur. Une croix d'or surmontée d'un cœur.

    Le cœur, une des couleurs du jeu de cartes. Le cœur est atout. J'ai tous les cœurs.

    Nom vulgaire d'un grand nombre de coquilles bivalves.

  • 17 Terme de manége et de fauconnerie. Être en cœur, se dit d'un cheval, d'un oiseau qui se montrent pleins d'ardeur. Un cheval de deux cœurs, est celui qui répond mal aux aides et qui ne manie pas volontiers.
  • 18 Terme de blason. Le milieu de l'écu, dit aussi abîme.
  • 19 Terme d'astronomie. Cœur du Lion, étoile de première grandeur qui fait partie de la constellation du Lion, dite aussi Régulus.

    Cœur de Charles, petite constellation entre la Grande Ourse et le Lion.

    Cœur de l'Hydre, étoile de la constellation de l'Hydre. Cœur du Scorpion ou Antarès.

  • 20 Terme d'horticulture. Cœur de pigeon, espèce de prune et espèce de pomme.

    Cœur de bœuf, espèce de prune.

    Cœur de Saint-Thomas, nom vulgaire d'un fruit d'Amérique ou mieux d'une graine, dite aussi châtaigne de mer (entade gigalobion).

    Nom d'une espèce de bigarreau.

  • 21Pièce d'horlogerie qui dégage la détente de la sonnerie.

    Milieu d'une verge de plomb dans un vitrage.

  • 22 Terme de boucherie. Maniement pair ou double chez le bœuf et la vache, placé au-dessous et à quelque distance du paleron, en arrière et vers le milieu de la masse musculaire olécrânienne, et répondant à peu près à la place qu'occupe le cœur dans l'intérieur du thorax.

PROVERBES

Il dit cela de bouche, mais le cœur n'y touche, c'est-à-dire il parle contre sa pensée.

De l'abondance du cœur la bouche parle, c'est-à-dire on parle volontiers de ce qu'on désire, de ce qui captive.

Loin des yeux, loin du cœur, c'est-à-dire l'absence refroidit.

REMARQUE

Le langage populaire dit quelquefois : joli comme un cœur. Cela ne signifie rien et ne peut rien signifier ; c'est une confusion avec joli cœur.

Avoir à cœur et tenir au cœur, sont deux locutions toutes faites et dans lesquelles rien ne peut être interverti. Avoir au cœur et tenir à cœur seraient des fautes contre l'usage, du moins aujourd'hui ; car, au XVIIe siècle, on trouve tenir à cœur dans de bons écrivains. Les nouvelles de la guerre me tiennent fort à cœur, Sévigné, 752. J'ai un extrême chagrin que vous fassiez tant de cas de toutes ces niaiseries [romans et comédies] qui ne doivent tout au plus servir qu'à délasser quelquefois l'esprit, mais qui ne devraient point vous tenir autant à cœur qu'elles font, Racine, Lettr. à son fils, X.

SYNONYME

CŒUR, COURAGE, disposition qui fait mépriser le danger. Courage est dérivé de cœur; par conséquent, la nuance entre ces deux mots ne peut être que dans cette dérivation même. En effet, le courage, à proprement parler, est le produit du cœur. On a du cœur ou on en manque ; on signale son courage, on combat avec courage ; l'homme de cœur se distingue par des traits de courage.

HISTORIQUE

XIe s. Se [il] son queur li purportast e soun conseil li donast, Lois de Guill. 12. Charles respont : trop avez tendre coer, Ch. de Rol. XXIII. Mal seit du coer qui au piz [poitrine] se couarde, ib. LXXXV. Franc ont feru de coer et de vigur, ib. LX. Si esclargiez vos talenz [satisfaites vos désirs] et vos coers, ib. CCLXV.

XIIe s. Dit à son oncle son cuer et sa pensée, Ronc. p. 19. Li emperere ot mout le cuer iré, ib. p. 35. L'aigue [eau] du cuer lui est es els [yeux] montée, ib. p. 48. [à] Vos compaignons [ils] feront les cuers partir, ib. p. 60. Mout [il] ot le cuer dolent et irascu, ib. Du sanc qu'il laisse lui va li cuer faillant, ib. p. 100. [Il] Fit sa priere de cuer, fort en pleurant, ib. p. 152. Plus [j'] en auroie le cuer du ventre clair [satisfait], ib. p. 158. Par vasselage [courage] [il] a son cor [sa fermeté] recouvré, ib. p. 169. Li cuers lui part, l'ame s'en est alée, ib. p. 176. Ah ! Dex ! dist Charles, comme ai le cuer grevé ! ib. p. 183. Tant s'est amors affermée En mon cuer, à long sejor, Couci, I. Que cele où j'ai mon cuer et mon penser, ib. VI. Ele a mon cuer, que jà [je] n'en quier oster, ib. X. Je ne me sai tenir ne conforter De vous, beaus cuers, servir entierement, ib. Si que souvent [je] chant là où de cuer [je] plor [pleure], ib. XVI. Onques vers lui [elle] [je] n'oi [n'eus] faus cuer ne volage, ib. XI. Car traï m'a et mort à escient Mes jolis cuers, que je doi tant haïr, ib. X. Se nuls morist [mourut] pour avoir cuer dolent, ib. XXII. Se li cors va servir nostre seigneur, Li cuers remaint du tout en sa baillie [de ma dame], Quesnes, Romancero, p. 93. L'aigue lui cort [court, coule] du cuer parmi les oilz à rais, Sax. X. Tel cinq cent chevalier Qui n'ont cuer ne courage de Saisnes guerroier, ib. XVI. [Le roi] Qui assez vous salue de bon cuer, sans feintise, ib. XXIII. De grant outrage faire nuls hom ne monteplie, Ainz se monte et essauce qui son cuer humelie, ib. XXXII. Il n'en venront à chief [viendront à bout], mes cuers le senefie [l'annonce], ib. À la nef sunt venu, e entrerent en mer ; Rogiers del Punt l'Evesque n'i pout sun quer celer : Thomas, Thomas, fait-il, mal m'i faites passer, Th. le mart. 133.

XIIIe s. Dist li rois : Dame, puet bien estre verté ; J'en ai le cuer al ventre si serré Que ne me puis aidier ne conforter, Chanson du vilain Hervi. Il ne creoient mie les Grieus à qui il avoient pais fete, que de cuer leur deussent aidier, Villehardouin, CLXI. Et sachiés que li cuers des gens ne fu mie en pais, quar une partie de l'ost se travelloit à ce que il se volsissent bien departir, Villehardouin, LIV. Il estoit de moult grant cuer, Villehardouin, XL. Einsi dura la guerre grant piece, jusques au cuer d'iver, Villehardouin, XLV. Forment lui doult li cuers, mout fut en grand esmoi, Berte, VII. … De grant joie fu ses cuers esmeüs, ib. XXIV. … Se [vous] saviez orendroit à quel meschief je sui, li cuers vous partiroit, ib. XXVIII. Mais li cuers lui failloit, ib. XXX. Mais il avoit le cuer si plein de loyauté, ib. XLV. Si que l'eaue du cuer sur sa face en descent, ib. XLVII. Chascuns eut cuer certain, piteus et fin et sain, ib. XLIX. Ne cuida pas mes peres li rois au cuer hardit…, ib. LIII. Ainçois [elle] se lairroit traire le cuer sous la poitrine, ib. LVI. Ahi ! mere, faitele, com auriez cuer marri Se vous saviez…, ib. LIX. Il l'amoient [Berte] de cuer come bien enseignée, ib. LX. En la serve [il] avoit mis cuer et cor et desir, ib. LXIII. Sachiez que mout [il] les hait de cuer entierement, ib. XCV. Lasse ! pourquoi ne creve mes cuers sous ma chemise ? ib. C. D'amor et de desir tout li cuers lui esprent, ib. CX. Renart, fet-il, par le cuer bé [corbleu], Tu m'as hui honi et gabé, Ren. 4641. Moult ai iré le cuer au ventre, la Rose, 3752. Mes pren bon cuer, et si t'avance De recevoir en pacience Tout quanque Fortune te donne, ib. 6875. Mès, par mon chief, or i parra [paraîtra], Se tu de bon cuer serviras, ib. 2049. Que chascuns si bien i entende… Que tout par cuer le retengniés, ib. 20113. La reson pourquoy, que il en donroit cuer à ses ennemis, Joinville, 214. Et quant sa gent virent que le roy metoit deffense en li, il pristrent cuer, et laisserent le passage du flum, Joinville, 227.

XIVe s. … Tu sembles l'oisel de proie, Qui vuet le cuer tant seulement ; Se le cuer has tant seulement, Aras le corps et la chevance, Machaut, p. 111. Se il est juste, il n'est autre chose quelconque que il ait principalement à cuer, Oresme, Eth. 155. Enfans qui ont recordé par cueur aucunes choses, Oresme, ib. 198. Je ne puis pas savoir lor sens ne lor folie ; Car ce qui est au cuer, homme ne le dit mie, Guesclin. 10940. Et li bons coerz fait l'oevre, non mie le lonc jour, Baud. de Seb. IV, 184. Le dain est une belle beste et bien plaisant, quant elle est en cueur de saison, Modus, f° XXVIII.

XVe s. Il en ot grand joie en son cœur, Froissart, II, III, 19. Le comte d'Asquesuffort, qui estoit pour ce temps tout le cœur et le conseil du roi, Froissart, II, II, 237. Les chemins que il fait, je les sais tous par cœur, car en sa compagnie et sans lui je les ai esté trop de fois, Froissart, II, III, 17. Louis Rambaud avoit une trop belle femme à amie et l'aimoit de tout son cœur parfaitement, Froissart, II, III, 17. Quand le noble roi Charles de France eut ouï sa sœur ainsi lamenter, et qui de cœur et en plorant lui montroit sa besogne, Froissart, I, I, 8. Et y laissa mort son neveu que moult aimoit ; dont il estoit en cœur et fut depuis ce moult destroit et courroucé, mais amender ne le put, Froissart, I, I, 181. Le comte de Hainaut avoit si pris en cœur cette guerre, Froissart, I, I, 128. Gens qui ont encore au cœur la felonnie et le mautalent sur les François, Froissart, II, II, 207. Et je feray volontiers et de bon cœur ce que vous me commandez…, Froissart, I, I, 47. Il alla voir la fierte [la châsse] saint Thomas à cœur jeun et y fit offrande belle et riche, Froissart, III, IV, 15. Les seigneurs regarderent que il estoit le mois de decembre le droit cœur d'hiver, Froissart, II, II, 203. Se ne montrez… Que vous ayez mon fait à cueur, Orléans, Rondel de Frédet. Par cueur retiens ce que j'en ay apris, Car plus ne sçay lire ou livre de joye, Orléans, Rondel. Le dessus dit comte de Waleran et ceux qui s'estoient sauvés de sa compagnie eurent au cœur très grand tristesse, non pas sans cause, Monstrelet, liv. I, chap. 24. Certes, de bouche et non de cueur plusieurs gens parlent, Monstrelet, liv. I, chap. 9. Comme qui bien avoit le cuer à la besoigne, Chastelain, Chron. des ducs de Bourg. III, ch. 28. Lié [joyeux] sui, quant il est en ce point ; Car je le hay de tout mon cuer, la Pass. de N. S. J. C. Et quelque semblant qu'ilz luy montrassent, si le haioient-il en cueur comme il fu de puis apparent, Fenin, 1413. Le mareschal, qui le cœur n'avoit à aultre chose fors à toujours grever les Sarrazins, Bouciq. I, ch. 23. Et pour ce, nous qui desirons de tout nostre cœur l'honneur de son noble estat avons advisé une haute emprise, ib. III, ch. 15. Si fist Chasteaumorant au cœur vaillant e fier, ib. II, ch. 20. Hée, mon ami, revenez si vous voulez ; vous savez que nous femmes avons les cuers tendres, Jeh. de Saintré, ch. 26. Pour son sallaire d'avoir esté offrir à l'eglise de Sainct-Esperit-lezRue deux cœurs d'or, De Laborde, Émaux, p. 217. Laquelle tenoit entre ses deux mains ung coer, qui se ouvry à l'eure que le roy entra en ladite porte, et dedans ledit coer y avoit une fleur de lis signiffiant la loyaulté de la Cité, De Laborde, ib. p. 217. Il leur sembla honte et peril et que ce seroit donner cueur à ceulx de Paris, Commines, I, 9. Le roy n'avoit point fort la matiere à cueur, Commines, IV, 11. On croyait qu'Ascaigne faisoit ceste feinte, et qu'au cœur estoit content du Pape, Commines, VII, 13. Et si [Charles VIII] avoit son cœur, tousjours, de faire et accomplir le retour en Italie, Commines, VIII, 18. Cœur pensif ne sait où il va, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 275. Dieu nous veuille garder et defendre de toute malaventure ! le cœur ne me gist pas bien de cette vision, Louis XI, Nouv. LXXII.

XVIe s. Ils recoloyent par cueur quelques plaisans vers de Virgile, Rabelais, Garg. I, 24. Il se saisit du baston de la croix, qui estoit de cueur de cormier, Rabelais, ib. I, 27. Dieu vous doint ce que vostre noble cueur desire, Rabelais, Pant. II, 16. Je boy à luy de bien bon cueur, et à vous aussy, messieurs les recordz, Rabelais, ib. IV, 15. Le dyable se represente on lieu, accompaigné d'ung escadron de petitz dyableteaulx de cueur, Rabelais, ib. IV, 46. Je croy qu'il s'addoucira, Ou sera Plus dur que le cœur d'un arbre, Du Bellay, J. IV, 29, recto. Au cœur de l'hiver, Marguerite de Navarre, Nouv. XXXVIII. Le peuple n'eut pas le cœur de prendre seulement les balotes en main, Montaigne, I, 3. Faulte de cœur [courage], Montaigne, I, 26. Non en leur action seulement, mais surtout en leur cœur, Montaigne, I, 108. Faire mal au cœur [donner des nausées], Montaigne, I, 110. Sçavoir par cœur n'est pas sçavoir, Montaigne, I, 163. Ayant extreme peur de faillir une chose qu'il avoit tant à cœur, Montaigne, I, 196. Il leur remeit par ce moyen le cœur au ventre, Montaigne, I, 353. Aulcun homme de cœur ne daigne s'advantager de…, Montaigne, II, 66. Nous prenons trop à cœur ces substitutions, Montaigne, II, 86. Il a disné par cœur pour l'affection qu'il avoit de medire des femmes, Yver, p. 555. Montrer qu'ilz n'avoient point le cueur failly, Amyot, Péric. 62. Sans s'arrester aux larmes des passagers qui se tourmentent d'effroy et tirent du cueur, Amyot, ib. 63. Au cueur d'esté, Amyot, ib. 66. La perte de celuy là seul luy attendrit le cueur, Amyot, ib. 69. Avoir le cueur [courage] bon, Amyot, P. Aem. 43. Il n'y eut si dur cueur en toute la ville de Rome, à qui ce grant accident ne feist pitié, Amyot, ib. 57. Quant à moy, je n'aurois jamais le cueur de vendre le bœuf qui auroit longuement labouré ma terre, Amyot, Caton, 41. Homme de bas et petit cueur, Amyot, Crassus, 133. Du filz autant m'est la personne chere, Comme j'av eu à contre-cœur le pere, Amyot, Pomp. 1. Homme du tout fait à la devotion et selon le cueur de Pompeius, Amyot, Caton d'Ut. 45. Elle ne pardonnoit jamais, depuis qu'elle avoit pris une chose à cueur, Amyot, Artax. 24. Monsieur, j'ai sur le cœur tant de sang versé des nostres, D'Aubigné, Hist. I, 132. Venons au cœur de la France et des affaires, D'Aubigné, ib. I, 139. Le vaivode fait attaquer la ville avec la chaleur de cœur que la victoire passée donnoit à ses gens, D'Aubigné, ib. II, 198. Quand on vous decouvriroit implacable, tenant votre cœur [rancune] et inexorable, Carloix, I, 38. Ils avoient promis la garder ou y mourir ; mais le cœur leur devint foye, et se rendirent leurs vies sauves, Du Bellay, M. 80. Ceste gresse est trouvée principalement au mesentere, et base du cœur, Paré, I, 6. Le ventricule a deux orifices, à sçavoir un superieur nommé l'estomach et vulgairement cœur ; et l'autre inferieur nommé pylorus, Paré, I, 14. La figure du cœur est pyramidale, à sçavoir large en sa base et estroite sur sa pointe, Paré, II, 11. Et où il failloit, coups de baston ne luy manquoient pas, luy diminuant sa portion, le faisant souvent jeusner par cœur, Paré, Animaux, 18. Cœurs ou cerises heaumées, De Serres. Baise moy donc, mon cœur [m'amie], car j'aime mieux Ton seul baiser, que si quelque deesse…, Ronsard, 109. J'aime de tout mon cœur, je veux aussi qu'on m'aime, Ronsard, 254. Ils sont toujours après pour lui [à la jeunesse] faire apprendre par cueur (ainsi parlent-ils) ce que les livres disent…, Charron, Sagesse, I, 14. Il a eu le cœur de ce faire, Pasquier, Recherches, liv. VIII, p. 675, dans LACURNE. Estant allé à Bergame, il trouva son maistre qu'il salua joyeusement ; et le maistre luy rendit le salut en disant : que dit le cœur [comment va la santé] ? Nuits de Straparole, t. I, p. 258, dans LACURNE. Sans davantage nous tuer le cœur et le corps, ib. t. II, p. 386. Prenez vostre cœur à autruy, Oudin Cœur content, et manteau sur l'espaule, Cotgrave Le cœur fait l'œuvre, et non pas les grands jours, Cotgrave Le cœur ne veut douloir ce que l'œil ne peut voir, Cotgrave À cœur dolent, l'œil pleure, Cotgrave À povre cœur petit souhait, Cotgrave Belle chere, et cœur arriere [semblant d'amitié, sans que le cœur y soit], Cotgrave Qui n'a cœur [mémoire] ait jambes, Cotgrave Le cœur me dit qu'il faut que je meure, l'Amant ressuscité, p. 533, dans LACURNE. Au tresor gist le cœur, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 233. Bruler ne peut cueur Qui par venin meurt, Leroux de Lincy, ib. p. 254. Cœur blessé ne se peut ayder, Leroux de Lincy, ib. p. 275. Cœur de verre, cœur loyal et ouvert, Leroux de Lincy, ib. Quand bien vient, cœur fault, Leroux de Lincy, ib. p. 377. Item plus, est necessaire de sçavoir tout de cueur la multiplication d'une chascune des dix figures par soy mesme et aussi par une chascune des aultres, De Laroche, Arismetique, f° 8, verso.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. coeu ; picard (environs d'Amiens), tcheur ; provenç. cor ; ital. cuore ; du latin cor, cordis ; allem. Herz ; angl. heart ; goth. hairtô ; gaél. chridhe ; sanscrit, hrid. Cœur a pris le sens de mémoire, parce qu'il s'est étendu à l'âme tout entière ; et l'on voit nettement comment il l'a pris, dans cette phrase provençale : En vostre cor devetz saber que tuit li adjectiu… [en votre cœur devez savoir que tous les adjectifs…], Gramm. provençales, publiées par GUESSARD, p. 78. Dans l'ancien français, au nominatif singulier li cuers, au régime le cuer ; au nominatif pluriel li cuer, au régime les cuers. Du reste, cuer se prononçait cœur.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

CŒUR. Ajoutez :
23Une personne objet de tendresse. Je craignais encore Mme de Caylus, sa nièce [de Mme de Maintenon], son goût et son cœur, qui la connaissait parfaitement, Saint-Simon, t. VIII, p. 225, édit. Chéruel.
24 Terme de turf. On dit qu'un cheval manque de cœur, quand il ne fait pas son possible pour triompher.
25Cœur vert, espèce d'arbre. Le mora (mora excelsa) et le cœur vert (hectandra Rodeii) de la Guyane anglaise, Rev. Britann. fév. 1876, p. 283.