« monde », définition dans le dictionnaire Littré

monde

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

monde [1]

(mon-d') s. m.
  • 1Tout ce que nous apercevons d'espace, de corps et d'êtres, ainsi dénommé à cause de l'arrangement et de la régularité qui y règnent. La création du monde. Plusieurs philosophes ont cru que le monde est éternel. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature ; nulle idée n'en approche, Pascal, Pens. I, 1, édit. HAVET. …Tellement que qui en saura les principes [de la religion] puisse rendre raison et de toute la nature de l'homme en particulier, et de toute la conduite du monde en général, Pascal, ib. XI, 10. L'erreur qui a fait adorer le monde, soit qu'on le regardât comme Dieu lui-même, ou qu'on le considérât comme le corps dont Dieu était revêtu, Bossuet, Avert. sur le reproche d'idolâtrie, 26. L'éternel est son nom, le monde est son ouvrage, Racine, Esth. III, 4. Par le monde ils [les épicuriens] entendaient les cieux et la terre avec tout ce qui y est renfermé ; par l'univers, ils entendaient non-seulement les cieux et la terre, mais encore le vide infini qu'ils supposaient au delà du monde, Rollin, Hist. anc. liv. XXVI, 3, 2, § 2. Sans doute, le monde tel qu'il est, est un mystère que nous ne pouvons ni nier ni comprendre, Staël, Corinne, X, 5. Je ne veux pas d'un monde où tout change, où tout passe, Où, jusqu'au souvenir, tout s'use et tout s'efface, Lamartine, Méd. I, 18.

    Hyperboliquement. Un monde, quelque chose de très grand. Qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ? Pascal, Pens. I, 1.

    Faire un monde, imaginer un système sur la formation du monde. Les philosophes qui font un monde, ne font guère qu'un monde ridicule, Voltaire, Physique, Dissert. chang. globe.

    La machine du monde, le monde considéré dans le jeu des forces qui l'animent, dans son mécanisme. Sans qu'il nous arrive aucun accident, la machine entière du monde travaille sans cesse avec une force invincible à détruire notre corps, Nicole, Ess. de mor. 1er traité, ch. 4. Grâces aux travaux de ces grands hommes, le monde n'est plus un dieu ; c'est une machine qui a ses roues, ses cordes, ses poulies, ses ressorts et ses poids, Diderot, Pens. philos. n° 18.

    Par exagération. Je ne puis rien porter ; une cuiller me paraît la machine du monde, Sévigné, 265.

    Âme du monde, espèce d'intermédiaire que la philosophie platonicienne plaçait entre Dieu et la matière.

    Selon d'autres philosophes, l'âme du monde se confond avec Dieu même.

    Familièrement. Depuis que le monde est monde, c'est-à-dire de tout temps. Un amour qui ne demande pas mieux que de lui faire oublier son devoir, comme il fait depuis que le monde est monde, Diderot, Salon de 1765, Œuv. t. XIII, p. 75, dans POUGENS.

    L'an du monde deux mille, la deux-millième année depuis la création du monde. Ce fut environ l'an 3000 du monde, le 488e depuis la sortie d'Égypte… et 1000 ans devant Jésus-Christ, que Salomon acheva ce merveilleux édifice, Bossuet, Hist. I, 6.

    Terme de marine. Est du monde, l'est vrai ou corrigé, par opposition à l'est donné par la boussole.

  • 2Les anciens croyaient généralement que le chaos avait précédé le monde qui en avait été tiré.

    Fig. À propos, c'est lundi la fête de Chloé ; Sa maison, on le sait, est l'arche de Noé ; La ville, les faubourgs, chez elle tout abonde ; De ce chaos il faudra faire un monde, Delille, Convers. II. Va donc pour le chaos, et qu'il en sorte un monde ! Delavigne, la Popularité, IV, 6.

  • 3Le monde physique, le monde considéré dans ce qu'il a de sensible.

    Le monde moral ou intellectuel, ou intelligent, le monde considéré par rapport aux choses morales ou intellectuelles. Il s'en faut bien que le monde intelligent soit aussi bien gouverné que le monde physique ; car, quoique celui-ci ait aussi des lois qui, par leur nature, sont invariables, il ne les suit pas constamment comme le monde physique suit les siennes, Montesquieu, Esp. I, 4. Mais de quoi jouissais-je enfin quand j'étais seul ? de moi, de l'univers entier, de tout ce qui est, de tout ce qui peut être, de tout ce qu'a de beau le monde sensible, et d'imaginable le monde intellectuel, Rousseau, 3e lettre à M. de Malesherbes. Le monde moral et le monde physique ont la même marche ; nous nous poussons comme les flots de la mer, et nous nous succédons les uns aux autres, Bailly, Atlantide, p. 231, dans POUGENS.

    Le monde idéal, l'idée archétype du monde qui est en Dieu, de toute éternité, selon la philosophie de Platon.

    Monde idéal, se dit d'un monde imaginaire, meilleur que le monde où nous existons.

    Fig. Se créer un monde, se faire un monde idéal. Si les hommes pouvaient, comme les femmes, se créer un monde dans leur propre cœur, Staël, Corinne, II, 2.

    Monde intelligible, le monde considéré dans les rapports qui ne peuvent être saisis que par l'intelligence. Il semble que Locke et Clarke aient eu les clefs du monde intelligible : Locke a ouvert tous les appartements où l'on peut entrer ; mais Clarke n'a-t-il pas voulu pénétrer un peu trop au delà de l'édifice ? Voltaire, Dict. phil. Platon.

  • 4Dans un sens particulier, le monde, notre système solaire avec les planètes, les satellites des planètes et les comètes, par opposition à l'univers qui embrasse tout ce que nous voyons d'espace et de soleils, et dans lequel le monde n'est plus qu'une parcelle.

    Système du monde, l'ensemble des conditions géométriques et mécaniques suivant lesquelles notre soleil, les planètes, leurs satellites et les comètes accomplissent leurs mouvements.

  • 5Les planètes et les étoiles qui roulent dans l'espace, considérées comme des habitations semblables aux nôtres. Il semble que rien ne devrait nous intéresser davantage que de savoir comment est fait ce monde que nous habitons, s'il y a d'autres mondes semblables, et qui soient habités aussi, Fontenelle, les Mondes, Préface. Lorsqu'il [Sénèque] répond à la question : Quelle sera la vie du sage sur une plage déserte, dans le fond d'un cachot ? Celle de Jupiter dans la dissolution des mondes, il montre une âme forte, Diderot, Claude et Nér. II, 1. Je suppose qu'il est une progression dans les perfections respectives de cette série presque infinie de mondes semés dans l'immensité de l'espace, Bonnet, Contempl. nat. IV, 12. Descends-tu [un rayon de la lune] pour me révéler Des mondes le divin mystère ? Lamartine, Méd. I, 4.

    Pluralité des mondes, opinion hypothétique qui, considérant que les planètes sont des globes semblables en beaucoup de choses à la terre, admet qu'elles ont aussi des habitants. Entretiens sur la pluralité des mondes, par Fontenelle. Je n'ai aucune intention de choquer l'auteur des Mondes [Fontenelle], que j'estime comme un des hommes qui font le plus d'honneur à ce monde-ci, Voltaire, Lett. Berger, 14 mai 1738.

  • 6Le globe terrestre. Le monde sublunaire. Faire le tour du monde. Les cinq parties du monde. M. Sauval travaille à nous faire une histoire de la ville de Paris ; vous savez que cet abrégé du monde est divisé en ville, cité et université, Patin, Lett. t. II, p. 223. Entendez, Ô grands de la terre ; instruisez-vous, arbitres du monde, Bossuet, Reine d'Anglet. Le monde, de qui l'âge avance les ruines, Ne peut plus enfanter de ces âmes divines, Boileau, Lutr. III. Je l'épouse, et pour dot je lui donne le monde, Voltaire, Sémiram. III, 3.

    Par exagération. Tout ce qui est au monde, c'est-à-dire une foule considérable. Tout ce qui est au monde était à ce sermon [de Bourdaloue], et ce sermon était digne de tout ce qui l'écoutait, Sévigné, 13 mars 1671.

    Courir le monde, voyager beaucoup. Il court toujours le monde, et le monde est bien grand, Collin D'Harleville, Chât. en Espagne, II, 1.

    Dans une opinion vulgaire qui considérait la terre comme une surface plate, le bout du monde, le lieu où la terre se termine, un lieu très éloigné. D'un bout du monde à l'autre bout L'habit fait tout, Béranger, Vieux habits, vieux galons.

    Hyperboliquement. Il est allé loger au bout du monde, dans un quartier fort éloigné.

    On dit dans le même sens : à l'autre bout du monde. J'ai vu ce beau jardin des plantes. - Miséricorde ! eh quoi ! tu viens ?… Mais c'est, d'honneur, à l'autre bout du monde, Collin D'Harleville, Mœurs du jour, I, 7.

    Fig. et familièrement. C'est le bout du monde, se dit lorsqu'on estime quelque chose à son plus haut prix, à sa plus grande valeur. Si vous tirez cent francs de ce cheval, c'est le bout du monde.

    Le bout du monde, se dit aussi d'un délai extrême qu'on ne peut dépasser. Je pars, et, si je vous écris encore lundi, c'est le bout du monde, Sévigné, 8 juill. 1672.

    De par le monde, quelque part. Il y a de par le monde un homme qui…

    Du monde, se joint avec un superlatif pour exprimer avec plus de force ce qu'on affirme ou ce qu'on nie. Le meilleur homme, le plus méchant homme du monde. Par le caprice du monde le plus bizarre, Boileau, Sat. XII, Avertissement. Cela fait un ricochet de fourberies le plus plaisant du monde, Lesage, Turcaret, I, 12. L'invention du monde la plus heureuse, Voltaire, Comm. sur la Suite du Menteur, III, 1.

    Cela est, cela va le mieux du monde, cela est, cela va très bien. Bannissez vos frayeurs, tout va le mieux du monde, Corneille, l'Illusion, IV, 6.

    Nous sommes le mieux du monde ensemble, nous sommes très bien, très amis l'un avec l'autre.

    Pas le moins du monde, en aucune façon.

    Du monde, se joint avec le même sens à un substantif. Il dit de vous tout le bien du monde. Si homme du monde a le don d'obscurité, avouons que c'est celui-ci, Guez de Balzac, le Barbon. Ouvrez-la [la montre] ; lisez dans son sein ; Mainte roue y tient lieu de tout l'esprit du monde, La Fontaine, Fabl. X, 1. Voilà qui me ferait plus de mal mille fois qu'à personne du monde, Sévigné, 26 juill. 1676.

    Par exagération. Tout au monde, tout ce qui est dans le monde ; rien au monde, rien de ce qui est dans le monde. Je donnerais tout au monde pour l'avoir. Rien au monde ne le fera céder. Terme de blason. Globe terrestre que l'on voit sur les tiares des papes ou sur les couronnes des empereurs. On en trouve aussi dans quelques armoiries particulières.

  • 7Le monde, ce bas monde, ce monde, la terre que les hommes habitent, par opposition au ciel, au royaume céleste. On n'a pas toutes ses aises en ce monde. Mais elle était du monde, où les plus belles choses Ont le pire destin, Malherbe, VI, 18. Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes, La Fontaine, Fabl. III, 1. Sur quoi fondera-t-il [l'homme] l'économie du monde qu'il veut gouverner ? sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? quelle confusion ! sera-ce sur la justice ? il l'ignore, Pascal, Pens. III, 8, édit. HAVET. La mort délivre l'âme… de la concupiscence des membres, sans laquelle les saints ne viennent point dans ce monde, Pascal, Lettres sur la mort de son père. Le royaume de son Fils [de Dieu] n'était pas de ce monde, Bossuet, Hist. II, 4. Il y a un royaume qui n'est pas de ce monde, Fléchier, Mar.-Thér. Voilà une pensée qui n'est pas de ce monde, Marivaux, Sec. surp. de l'am. I, 1. Ce monde-ci n'est qu'une loterie De biens, de rangs, de dignités, de droits Brigués sans titre, et répandus sans choix, Voltaire, Nan. I, 9. Comptez que le monde est un grand naufrage, et que la devise des hommes est, sauve qui peut, Voltaire, Lett. le Chevalier de R.... X..., 20 sept. 1760. Un système de perfection qui n'était pas de ce monde et n'existait que dans les livres, Marmontel, Mém. X. Paix au travail ! paix au sol qu'il féconde ! Que par l'amour les hommes soient unis ! Plus près des cieux qu'ils replacent le monde ! Béranger, les Quatre âges historiques.

    Dans le langage de l'Écriture, la figure de ce monde passe, c'est-à-dire tout ce qui est dans le monde n'a rien de solide ni de permanent. Les chrétiens regardent… la figure du monde comme un songe, Massillon, Carême, Mauvais riche.

    Venir au monde, naître. C'est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est venu au monde, Sacy, Bible, St-Jean, 1re épît. III, 8. Alexandre naquit la première année de la cent-sixième olympiade ; le même jour précisément qu'il vint au monde, le fameux temple de Diane fut brûlé à Éphèse, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. VI, p. 157, dans POUGENS. Fortunio Liceti, savant recommandable du XVIe siècle, qui vint au monde à l'âge de cinq mois, et que son père, médecin de réputation, conserva par les soins les plus minutieux, Cabanis, Instit. Mém. sc. mor. et pol. t. I, p. 125.

    Par extension, venir au monde, survenir, arriver. Cela est donc venu au monde depuis votre société, Pascal, Prov. V.

    Être au monde, être en vie. Cesser d'être au monde, n'être plus au monde, ne plus exister. Il n'était plus au monde, c'était à un mort que j'écrivais, Sévigné, 364. Quand il ne serait plus au monde, Bossuet, Hist. III, 5. Si le fils de Thétis n'eût point été au monde dans le même temps, Fénelon, Tél. XIX. Hé ! Madame, songez-vous encore que je sois au monde ? Baron, Homme à bon. fort. II, 11. Pour être l'objet des événements les plus terribles, il n'est seulement question que d'être au monde, Marivaux, Marianne, 9e part.

    Par extension. Tous les soirs qui seront et qui furent au monde, Régnier, Sat. I.

    Se savoir bon gré d'être au monde, être très satisfait de soi-même, de sa position, etc. D'où vient qu'il parle plus haut que les autres, et se sait si bon gré d'être au monde ? Montesquieu, Lett. pers. 48.

    Mettre un enfant au monde, donner naissance à un enfant. La signora mit au monde une fille, La Fontaine, Herm. C'est un homme voluptueux, qui ne cherche qu'à faire grande chère, et qui croit que Dieu l'a mis au monde pour tenir table, Voltaire, Zadig, 18.

    Fig. Mettre au monde, faire connaître, donner une certaine illustration. Celui-ci était… un gentilhomme tout ordinaire de Lyon ; ce qui les mit au monde [lui et sa famille] fut le mariage de son frère avec la sœur utérine de Mme de la Vallière, Saint-Simon, t. XVII, p. 376, éd. CHÉRUEL.

  • 8Le monde ancien, ou le monde des anciens, ce que les anciens connaissaient du globe terrestre. Ce voyage de Gama fut ce qui changea le commerce de l'ancien monde, Voltaire, Mœurs, 141.

    Le nouveau monde, le continent de l'Amérique. En sorte qu'à son tour le nouveau monde paraît avoir des représentants dans l'ancien, Buffon, Quadrup. t. VII, p. 276. Ce fut en allant à la recherche du Zipangui de Marc Pol que Christophe Colomb découvrit le nouveau monde, Silvestre de Sacy, Instit. Mém. inscr. et belles-lett. t. VII, p. 415. Qui découvrit un nouveau monde ? Un fou, qu'on raillait en tout lieu, Béranger, les Fous.

    Nouveau monde, variété d'œillet. Le nouveau monde n'est point estimé des connaisseurs, Culture des fleurs, ch. 2, dans RICHELET.

    Monde nouveau, tout ce que l'on connaît aujourd'hui du globe terrestre, par opposition à monde ancien qui ne comprenait qu'une partie de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique.

    Monde maritime, l'Océanie et ses dépendances.

    Fig. Soyez-vous l'un à l'autre [deux amants] un monde toujours beau, Toujours divers, toujours nouveau, La Fontaine, Fabl. IX, 2. Ainsi ces deux enfants, l'un à l'autre leur monde…, Lamartine, Chute d'un ange, 6e vision.

    Fig. Un monde tout différent, une manière tout autre de sentir, de comprendre, d'exprimer. Quand on passe de Cinna à Polyeucte, on se trouve dans un monde tout différent, Voltaire, Comm. Corn. Polyeucte, Épît. dédic.

    Fig. Mettre un monde entre… établir une extrême différence entre… Cela seul [les vous de Polyeucte opposés aux tu de Pauline] met tout un monde entre le martyr Polyeucte et la païenne Pauline, Chateaubriand, Génie, II, III, 8.

    Familièrement. De quel monde venez-vous ? ou bien, vous n'êtes pas de ce monde, se dit à quelqu'un qui ne paraît pas instruit d'une chose que tout le monde sait.

  • 9Hyperboliquement. Un lieu vaste et très peuplé. Paris est un monde. C'est une république, c'est un monde que votre château, je n'y ai jamais vu cette foule, Sévigné, 459.
  • 10Monde se dit pour exprimer un ensemble de pays, de sociétés, de civilisation. Le monde oriental. Le monde grec. Le monde du moyen âge.

    On dit de même : le monde chrétien, le monde des fidèles. Dès le moment que nous entrons dans l'Église, qui est le monde des fidèles et particulièrement des élus, Pascal, Lett. sur la mort de son père. Les États qui composent le monde chrétien, Bourdaloue, Serm. 22e dim. après la Pentecôt. Domin. t. IV, p. 341.

    Le monde politique, la société et son gouvernement. Il est certain, et les peuples s'en convaincront de plus en plus, que le monde politique, aussi bien que le monde physique, se règle par poids, nombre et mesure, Fontenelle, Montmort.

  • 11La totalité des hommes, le genre humain. L'opinion du monde. Jésus-Christ est le Sauveur du monde. Le monde est vieux, dit-on ; je le crois ; cependant Il le faut amuser encor comme un enfant, La Fontaine, Fabl. VIII, 4. Avant lui [Jésus-Christ], le monde vivait dans une fausse paix, Pascal, Pens. XXIV, 62. Cette civilisation [celle de l'Europe] contient l'avenir du monde, Jouffroy, Mél. de l'état act. de l'hum.
  • 12Les hommes en général, la plupart des hommes. Le monde, chère Agnès, est une étrange chose, Molière, Éc. des f. II, 6. À quoi pense le monde ?… à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague… sans penser à ce que c'est… qu'être homme, Pascal, Pens. XXIV, 53. Le monde juge bien des choses ; car il est dans l'ignorance naturelle qui est le vrai siége de l'homme, Pascal, ib. III, 18. Il [Alexandre] a souhaité de faire du bruit dans le monde durant sa vie et après sa mort, Bossuet, la Vallière. Le monde, qui n'est pas bon, mène souvent la passion des autres plus loin qu'elle n'est allée, Baron, l'Homme à bonnes fortunes, I, 4. Le monde me dédaigne, il me rejette, nous ne changerons pas le monde, Marivaux, Marianne, 7e part. L'expérience m'a convaincu que ce monde est une espèce de bois infesté de brigands : l'histoire m'assure de plus qu'il n'a jamais été autre chose, D'Alembert, Mélanges, t. V, Réflexions sur l'histoire.
  • 13Un certain nombre de personnes. Peu de monde. Beaucoup de monde. Il a amené beaucoup de monde avec lui. Le monde commençait à venir. Allons-nous-en d'ici, j'entends venir du monde, Mairet, Soliman, I, 2. Une grande partie du monde alla coucher à Reims, Pellisson, Lett. hist. t. II, p. 61, dans POUGENS. C'est ainsi que Candide, Martin et le Périgourdin raisonnaient sur l'escalier, en voyant défiler le monde au sortir de la pièce, Voltaire, Candide, 22. Le manque de soins avait fait périr autant de monde que les armes, Voltaire, Mœurs, 174. On m'a mandé qu'on avait démoli un temple auprès de la Rochelle, et qu'il y avait eu du monde tué, Voltaire, Lett. d'Argence, 10 juillet 1767. Le prince Eugène veut attaquer un pont ; il y perd du monde, Voltaire, Louis XIV, 23. Il y eut ce soir un monde prodigieux au cercle de la reine, Genlis, Mlle de la Fayette, p. 265, dans POUGENS.

    Avoir du monde, avoir chez soi un certain nombre de personnes. Quand j'ai du monde, je travaille à ce beau parement d'autel, Sévigné, 62. Vous me demandez ce que nous lisons ; dès qu'on a le moindre monde, on ne lit plus, Sévigné, 23 nov. 1689. Ah ! oui, j'ai bien le temps de m'arrêter, avec le monde que nous avons, Picard, Collatéral, IV, 4.

    Recevoir du monde, recevoir chez soi des personnes qui viennent rendre visite. … Je ne me sens pas, En ce moment, d'humeur à recevoir du monde, Collin D'Harleville, Chât. en Esp. II, 6.

    Monde se dit aussi pour une seule personne. N'entrez pas, il y a du monde dans son cabinet.

    À cet emploi de monde, correspond personne. Y a-t-il du monde ici ? il n'y a personne.

  • 14Le monde, les gens, vous, nous, le premier venu. Il ne faut pas accuser le monde légèrement. La dague dont il se servait Quand il voulait tuer le monde, Scarron, Virg. VI. Si bien qu'on ne peut se moquer du monde d'une façon plus grossière qu'en nous donnant ces discours comme fort anciens, Bossuet, Var. XI, 126. Devant le monde, en public. Ce qui est écrit noblement dans Homère devient aussi bas et aussi dégoûtant dans le Trissin [poëte italien] que les caresses d'un mari et d'une femme devant le monde, Voltaire, Ess. poés. épique, ch. V.

    Familièrement et avec un ton de plainte. Le pauvre monde, les gens, vous ou moi. Voilà qui est beau de se moquer ainsi du pauvre monde, Voisenon, Hist. de la sultane Grisemine, Œuvr. t. V, p. 67, dans POUGENS.

  • 15Tout le monde, chacun. [Elle] Croit que c'est aimer Dieu que haïr tout le monde, Boileau, Sat. X. Il aurait fallu commencer par imiter M. le duc d'Orléans [qui s'était fait inoculer] ; il faudrait donner la petite vérole à tout le monde pour sauver tout le monde, Voltaire, Lett. Delisle, 27 mai 1774.

    On peut employer le pronom leur avec tout le monde. Avec quelle condescendance engageait-elle tout le monde à leurs devoirs en s'acquittant des siens envers tout le monde ! Le P. de la Rue, Or. fun. du Dauphin et de la Dauphine. Le bon prince [Charles II] commençait à être de mauvaise humeur… il laissait tout le monde en repos dans leur commerce, et cependant on avait souvent l'insolence de troubler le sien, Hamilton, Gramm. 13.

    Tout le monde, le premier venu. Si j'étais la Fontaine et si Mme du Châtelet avait le malheur de n'être que Mme de Montespan, je lui ferais une épître en vers, où je dirais ce qu'on dit à tout le monde, Voltaire, Lett. Thieriot, 1er mars 1736. Madame sort sans livrée ! nous avons l'air de tout le monde, Beaumarchais, Mère coupable, I, 2.

  • 16Hyperboliquement. Un monde, une grande quantité de personnes. Apaisez le lion : seul il passe en puissance Ce monde d'alliés vivant sur notre bien, La Fontaine, Fabl. XI, 1. Être servi par un monde d'esclaves, La Fontaine, l'Eunuque, II, 1. Ma manière d'agir, ma critique, mes ris, M'attireraient bientôt un monde d'ennemis, Regnard, Démocrite, I, 6. Un monde d'adversaires élevés contre lui, tant au dedans qu'au dehors de l'Académie, ne l'ébranla point, Fontenelle, Méry.

    Absolument. L'éloignement d'aucun ne saurait m'affliger ; Mille encore présents m'empêchent d'y songer ; Je n'en crains point la mort, je n'en crains point le change ; Un monde m'en console aussitôt, ou m'en venge, Corneille, la Place roy. I, 1.

    Une grande quantité de choses. Contre un monde de recettes, La Fontaine, Ann. Je vous écrivais tout à l'heure que je brûlais d'aller à Paris ; à présent je tremble d'y trouver un monde d'affaires, Diderot, Lett. Voland, 28 oct. 1760. Dans le peu de paroles qu'avait prononcées cet homme, j'avais entrevu un monde de douleurs secrètes, Reybaud, Jérôme Paturot, Introduct.

  • 17Avec l'adj. possessif, les domestiques. Il a congédié tout son monde. On dit ordinairement en parlant : tout mon monde est venu, son monde n'est pas venu, pour dire : tous mes gens ou tous mes domestiques sont venus, ses gens ne sont pas venus ; mais il le faut éviter comme un terme bas, et, si j'ose le dire, de la lie du peuple, Vaugelas, Rem. t. I, p. 277, dans POUGENS. Son monde, pour dire ses gens, ses domestiques, n'est point un terme de la lie du peuple, comme il est qualifié dans cette remarque ; il est de la conversation et du style familier, et on ne doit point blâmer ceux qui disent : son appartement est fort commode, il a tout son monde autour de lui, Académie, Observations sur Vaugelas, p. 91. Là-dessus le maître entre et vient faire sa ronde : Qu'est ceci, dit-il à son monde ? La Fontaine, Fabl. IV, 21. Il savait bien qu'il n'avait pas besoin de tout ce monde, mais il croyait que tout ce monde avait besoin de lui, Fléchier, Duc de Mont.

    Les gens qui sont sous les ordres de quelqu'un. Ce capitaine n'avait avec lui que la moitié de son monde. Déjà monsieur le maître et son monde se lasse, Régnier, Sat. VI. Le lendemain, au premier lever de l'aurore, je fais embarquer tout mon monde, Fénelon, t. XXI, p. 409.

    Un certain nombre de personnes que l'on attend. Notre monde n'est pas encore arrivé. …Monsieur, voici tout votre monde, Père, rival, maîtresse et madame Raymonde, Legrand, Foire de Saint-Laurent, sc. 4. Mon souper est prêt ; attendons notre monde, Al. Duval, Jeunesse de Richel. V, 1.

    La famille, les gens qu'on a autour de soi Tout mon monde vous fait ses compliments. Tout notre monde vous est extrêmement obligé de l'honneur de votre souvenir, Guez de Balzac, liv. VIII, lett. 46.

    On dit de ses enfants jeunes : mon petit monde.

    Fig. Connaître son monde, savoir à qui l'on a affaire. Apprendre à quelqu'un à connaître son monde, lui faire la leçon, le remettre à sa place. Si vous m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir leur sottise et pourra leur apprendre à connaître un peu mieux leur monde, Molière, Préc. 1.

  • 18Dans la marine, l'équipage, ou une partie de l'équipage. En haut le monde ! appelez le monde ! On met du monde sur telle ou telle manœuvre qu'on veut haler. Tout le monde sur le pont ! Envoyer du monde à terre.

    Faire passer du monde sur le bord, faire descendre, quand un officier ou un étranger vient à bord d'un vaisseau, le long de l'échelle quelques matelots qui veillent sur lui pendant le trajet à faire de l'embarcation qui l'a apporté au pont du navire, le préservent des chutes ou autres accidents et le reçoivent le bonnet à la main.

  • 19La société des hommes, ou une partie de cette société. L'usage du monde. Il ne voit qu'un certain monde. Vous êtes peu du monde, et savez mal la cour, Corneille, Nicom. III, 8. Mais vous êtes du monde ; et, dans votre sagesse, Vous savez excuser le feu de la jeunesse, Molière, Éc. des f. V, 2. Mais quand on est du monde, il faut bien que l'on rende Quelques dehors civils que l'usage demande, Molière, le Mis. I, 1. …C'est une folie à nulle autre seconde De vouloir se mêler de corriger le monde, Molière, ib. I, 1. Il faut parmi le monde une vertu traitable, Molière, ib. Enfin, j'ai vu le monde, et j'en sais les finesses, Molière, Éc. des f. IV, 5. Le peuple et les habiles composent le tiers du monde, Pascal, Pens. III, 18. Enfin, le voilà jeté dans le monde, et il y fait fort bien, Sévigné, 498. Elle sut se prêter au monde avec toute la dignité que demandait sa grandeur, Bossuet, Mar.-Thér. Je veux confondre le monde par ceux que le monde même révère le plus, par ceux qui le connaissent le mieux, et ne lui veux donner pour le convaincre que des docteurs assis sur le trône, Bossuet, Duch. d'Orl. Les pensées ambitieuses sans lesquelles on n'est pas du monde, Bossuet, 3e serm. Pentec. 1. Le monde est une comédie qui se joue en différentes scènes ; ceux qui sont dans le monde comme spectateurs, souvent le connaissent mieux que ceux qui y sont comme acteurs, Bossuet, Pensées chrét. 30. Dans ces déplorables erreurs, la princesse palatine avait les vertus que le monde admire, et qui font qu'une âme séduite s'admire elle-même, Bossuet, Anne de Gonz. On admire en elle des qualités qui la rendent parfaite selon le monde, Bourdaloue, Concept. de la Vierge, Myst. t. II, p. 55. Il ne pouvait ignorer qu'entre les gentils il y avait eu des sages du monde, des hommes distingués selon le monde, Bourdaloue, Myst. Épiphanie, t. I, p. 94. Qu'il y avait un art innocent de séparer les pensées d'avec les paroles, et que la probité pouvait souffrir ces complaisances mutuelles qui, étant devenues volontaires, ne blessent presque plus la bonne foi, et maintiennent la paix et la politesse du monde, Fléchier, duc de Mont. Le monde, et surtout MM. les évêques sont très mécontents de ce qu'on vient de faire pour les nouveaux convertis, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 3 janv. 1698. Le monde est un menteur, il nous promet des plaisirs, et il ne donne que des peines, Maintenon, Lett. à Mme de Fontanes, 1695. Le monde, à mon avis, est comme un grand théâtre, Où chacun en public, l'un par l'autre abusé, Souvent à ce qu'il est joue un rôle opposé, Boileau, Sat. X. Jeune, autrefois par vous dans le monde conduit, Boileau, ib. X. Le monde cependant se rit de mes excuses, Boileau, Ép. VI. C'est [Alidor bâtissant un monastère] un homme d'honneur, de piété profonde, Et qui veut rendre à Dieu ce qu'il a pris au monde, Boileau, Sat. IX. Point ne me chaut ce que le monde en pense, Chaulieu, Bouquet, 5. La pécheresse de l'Évangile était du monde, Massillon, Carême, Samar. Dans ces maisons de retraite… l'esprit du monde y règne quelquefois plus que dans le monde même, Massillon, Carême, Vocation. Une telle situation mit Villars fort dans le monde, et dans un monde fort au-dessus de lui, Saint-Simon, 3, 51. Heureux qui jouit agréablement du monde ! plus heureux qui s'en moque et qui le fuit ! Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 20 janv. 1769. J'entre avec une secrète horreur dans ce vaste désert du monde, Rousseau, Hél. II, 14. La nature lui avait donné le goût des sciences et une sorte de répugnance pour le monde, c'est-à-dire pour la dissipation sans plaisir, la vanité sans motif et l'oisiveté sans repos, Condorcet, Courtanvaux. Le monde, dit Luther, ressemble à un paysan ivre : veut-on le mettre en selle d'un côté, il tombe de l'autre, Villers, Kant, p. 135. Elle est sœur de Mme d'Olcy, que vous avez certainement rencontrée dans le monde, Genlis, Adèle et Théodore, t. I, p. 53, dans POUGENS. Ici viennent mourir les derniers bruits du monde, Lamartine, Médit. I, 16.

    Aller dans le monde, fréquenter la société, aller dans les salons, dans les bals, les concerts, etc. Cette dame laissait croire que j'étais destinée à son fils ; mais elle me laissait aller dans le monde sur ce pied-là, Marivaux, Marianne, 5e part. Les filles vivent dans les couvents, et les femmes courent le monde, Rousseau, Ém. V.

    Mettre quelqu'un dans le monde, l'introduire dans la société.

    Homme du monde, homme qui vit dans la société et qui en sait les usages.

    Au pluriel, les gens du monde, voy. GENS, n° 3.

    Savoir son monde, savoir bien le monde, savoir vivre et se conduire dans le monde. Fille qui sait son monde a saison opportune, Régnier, Sat. XII. Est-il possible, notre gendre, que vous sachiez si peu votre monde ? Molière, G. Dand. I, 4. Cela est étrange qu'on ne puisse avoir en province un laquais qui sache son monde, Molière, la Comtesse d'Escarb. I, 2. Un homme qui ne sait pas le monde, Sévigné, 89. Voilà la reine des filles pour entendre parfaitement bien son monde ! Brueys, Muet, IV, 12. Avoir du monde, même signification. M. de Coulanges est bien en peine de savoir laquelle de vos madames y prend goût [à mes lettres] ; nous trouvons que c'est un bon signe pour elle ; car mon style est si négligé qu'il faut avoir un esprit naturel et du monde pour s'en pouvoir accommoder, Sévigné, 23 déc. 1671. [Calvisson] c'était une fort vilaine figure d'homme, mais avec beaucoup d'esprit, de lecture et de monde, Saint-Simon, 78, 2. Je ne puis deviner quel est son projet ; mais il a du monde, de l'esprit, Dancourt, Moulin de Javelle, sc. 26.

    Manquer de monde, être sans monde, ne pas connaître les usages de la société distinguée. J'entendis une fois Mme de *** dire à son amie : Il manque de monde, mais il est aimable, Rousseau, Confess. VI. De paisibles campagnards sans monde et sans politesse, Rousseau, Hél. V, 2.

    Connaître le monde, connaître les hommes. Il a de l'esprit, de l'honnêteté, il connaît le monde, Sévigné, 280. Frédéric a plus d'art et connaît mieux son monde, Voltaire, Ép. 101.

    La science du monde, la connaissance de la manière de voir de la société. Ces sacrifices que les ambitieux appellent la science du monde, Fléchier, Duc de Mont.

    Vous ne changerez pas le monde, c'est-à-dire il faut accepter les usages, les opinions, les manières de faire. Le monde par vos soins ne se changera pas, Molière, Mis. I, 1.

    N'être plus du monde, n'être plus dans le commerce du monde, ne plus fréquenter la société.

    On dit dans le même sens : quitter le monde, renoncer au monde, se retirer du monde. Au monde qui la quitte, elle veut renoncer, Molière, Tart. I, 1. Je m'applaudis tous les jours de m'être retiré à la campagne depuis quinze ans… il y a, je l'avoue, un grand mal dans cette privation, c'est qu'en quittant le monde, je vous ai quittée, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 20 janv. 1769.

    Voilà le monde, c'est ainsi que les choses changent, que la fortune porte ses coups, que les sentiments tournent. La maréchale de Clérambault aura son paquet à Poitiers ; c'est-à-dire au même lieu où elle avait reçu l'ordre de venir au Palais-Royal ; voilà le monde, Sévigné, 391. Enfin voilà Mme de Richelieu à la place de Mme de Montausier ; quelle joie pour bien des gens ! quel chagrin pour d'autres ! voilà le monde, Sévigné, 22 nov. 1671.

    Ainsi va le monde, c'est ainsi que les hommes agissent, se conduisent.

    C'est le monde renversé, se dit quand une chose se fait contre l'ordre et la raison.

    C'est un homme qui doit à Dieu et au monde, c'est-à-dire il est fort endetté.

  • 20Le grand monde, la société distinguée par les richesses, par les dignités de ceux qui la composent. Être reçu dans le grand monde. Dans ce grand monde où tu vas l'entraîner [ta femme], Boileau, Sat. X. Toute sa vie [Villeroy] nourri et vivant dans le plus grand monde, Saint-Simon, 392, 62. Des gens puissants, qui ont du crédit ou des dignités, et qui composent ce qu'on appelle le grand monde, Marivaux, Marianne, 5e part. Le plus grand monde était de ses soupers et de ses fêtes, Marmontel, Mém. IV. Par degrés l'accoutumant à faire les honneurs de sa maison, la mit dans le plus grand monde, Genlis, Mlle de la Fayette, p. 14, dans POUGENS.

    Grand monde signifie aussi une société nombreuse. Et vous avez grand monde ? - à ne pas nous connaître, Piron, Métrom. I, 1.

    Familièrement. Le petit monde, les gens du commun. Le peuple dit : il ne faut pas tant mépriser le petit monde.

    Le beau monde, la société la plus brillante, celle qui est distinguée par l'élégance en tout genre. Voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir, Molière, Préc. 12. Mon hôtesse, sans s'informer des motifs de ma curiosité, me mena à une église où tout le beau monde allait à la messe, Mme de Tencin, Malh. de l'amour, Œuv. t. IV, p. 161, dans POUGENS.

    Mme de Genlis trouvait le beau monde une façon de parler basse, Mém. t. V, p. 92, dans POUGENS.

    Voir le beau monde, fréquenter les personnes de distinction.

    En un autre sens. Du beau monde, des gens bien mis. J'ai vu là beaucoup de beau monde.

    Le monde savant, le monde lettré, les hommes qui s'occupent particulièrement des sciences, des lettres.

    Le monde géomètre, les géomètres. L'universalité surprenante des méthodes [dans le calcul différentiel], l'élégante brièveté des démonstrations… tout attirait les esprits, et il se faisait dans le monde géomètre une révolution bien marquée, Fontenelle, Rolle.

    Demi-monde, gens d'une réputation équivoque ; se dit surtout des femmes galantes, entretenues.

    Le demi-monde littéraire, des littérateurs de dernière classe.

  • 21En langage de dévotion, la vie des hommes qui ont les mœurs peu sévères du siècle. Dieu ne veut point d'un cœur où le monde domine, Corneille, Poly. I, 1. Honteux attachements de la chair et du monde, Corneille, ib. IV, 2. Monde, pour moi tu n'as plus rien, Corneille, ib. IV, 2. Ô fausse volupté du monde ! Rotrou, St Genest, V, 1. Dans l'âme elle est du monde, Molière, Mis. III, 3. Seigneur, prenez mes affections que le monde avait volées, Pascal, Prière pour le bon usage des malad. Le monde que je sais avoir été véritablement le meurtrier de celui que je reconnais pour mon Dieu et mon père, qui s'est livré pour mon propre salut, Pascal, ib. Il fallait autrefois sortir du monde pour être reçu dans l'Église, au lieu qu'on entre aujourd'hui dans l'Église en même temps que dans le monde ; on connaissait alors par ce procédé une distinction essentielle du monde d'avec l'Église ; on les considérait comme deux contraires, comme deux ennemis irréconciliables…, Pascal, Compar. des chrét. des premiers temps, etc. Il faut que le monde vous désabuse du monde ; ses appas ont assez d'illusions, ses faveurs assez d'inconstance, ses rebuts assez d'amertume, Bossuet, la Vallière. Reconnaissez ici le monde, reconnaissez ses maux toujours plus réels que ses biens, Bossuet, Ann. de Gonz. L'un [amour] est l'amour de soi-même poussé jusqu'au mépris de Dieu, c'est ce qui fait la vie ancienne et la vie du monde ; l'autre…, Bossuet, la Vallière. L'honneur du monde, mes frères, c'est cette grande statue que Nabuchodonosor veut que l'on adore, Bossuet, 1er serm. Dim. des Ram. Préambule. Ce qu'on appelle le monde, les sectateurs du monde, les esclaves du monde, ces hommes et ces femmes remplis de l'esprit du monde, connaissent-ils Dieu ? Bourdaloue, Instruct. pour l'Avent, Exhort. t. II, p. 219. Le monde, que saint Augustin appelle la région des faussetés et des mensonges, Fléchier, Duc de Mont. Le monde qui ne peut cesser d'être monde, c'est-à-dire corrompu, Fénelon, Éduc. filles, 8. Vous leur persuadez que le monde n'est pas si incompatible avec le salut qu'on le pense, Massillon, Carême, Resp. hum. Une vie mêlée, tantôt de retraite et de vertu, tantôt de monde et de faiblesse, Massillon, Carême, Tiédeur, 2.
  • 22La vie séculière, par opposition à la vie monastique. Abandonner le monde. Un religieux qui rentre dans le monde. Le désir qu'elle avait eu de renoncer au monde, Fléchier, Dauph.
  • 23L'autre monde, la vie par delà le tombeau. N'ayant de communication qu'avec les morts, je ne vous saurais raconter que des nouvelles de l'autre monde, Guez de Balzac, liv. I, lett. 9. Enfin, si l'autre monde a des charmes pour vous, Pour moi je trouve l'air de celui-ci fort doux, Molière, le Dép. V, 1. Et aussi les deux mondes : la création d'un nouveau ciel et nouvelle terre ; nouvelle vie, nouvelle mort, Pascal, Pens. XXIV, 12.

    Familièrement. Envoyer dans l'autre monde, tuer. C'est la vouloir envoyer dans l'autre monde, Molière, Am. méd. I, 1. Si vous n'y prenez garde, il prendra tant de soins de vous qu'il vous enverra dans l'autre monde, Molière, Mal. im. III, 3.

    Aller dans l'autre monde, mourir. Il faut toujours avoir son paquet prêt et le pied à l'étrier, pour voyager dans cet autre monde, où, quelque chose qui arrive, les rois n'auront pas grand crédit, Voltaire, Lett. Mme Denis, 18 déc. 1752.

  • 24 Fig. L'autre monde, se dit du passé, du monde d'autrefois, de ce qui n'est plus à la mode, dans l'usage. Il fait voir que la vertu de Caton était de l'autre monde et non pas de celui-ci, Guez de Balzac, 6° disc. sur la cour. Que la foi lui paraît [au monde] simple et mal habile !… que la piété chrétienne lui semble être de l'autre monde ! Bossuet, 3e serm. Pentec. I.

    Des gens de l'autre monde, des gens qui n'appartiennent plus au temps présent, qui ne connaissent pas les usages du monde. Ce que je ne puis comprendre, c'est que vous vous teniez tous deux à l'écart [M. et Mme de Grignan] pour des gens de l'autre monde, et qui ne sont plus en état de penser à la fortune et aux grâces de Sa Majesté, Sévigné, 13 mars 1680. Je trouvai, dans cette maison, une compagnie plus de l'autre monde que de celui-ci, Staal, Mém. t. I, p. 315.

    Fig. Il semble qu'il vienne de l'autre monde, se dit d'un homme qui paraît ignorer ce qui se passe publiquement, les choses que tout le monde sait. Je viendrais d'un autre monde, si j'ignorais les éloges qu'elle [une reine] a reçus en celui-ci de la voix de tous les peuples, Guez de Balzac, lett. 10, liv. VI.

    Dire des choses de l'autre monde, dire des choses étranges, incroyables.

  • 25Titre de diverses publications périodiques ou non, qui exposent des choses relatives au monde. Le Monde illustré. Le Monde religieux.
  • 26Petit monde, poisson du genre des quatredents.
  • 27Grand monde, sorte de papier d'une grande dimension.
  • 28 Monde d'or, quartz résinite (l'hydrophane des minéralogistes), connu des bijoutiers sous le nom d'œil du monde ; sa qualité spongieuse lui permet d'absorber une quantité d'eau qui, en reflétant les couleurs du spectre solaire, lui donne le chatoiement de l'opale, De Laborde, Émaux, p. 396.

    PROVERBE

    Maître Gonin est mort, le monde n'est plus grue (voy. GONIN).

REMARQUE

1. Bouhours (Nouv. Rem.) hésite sur la locution avoir du monde, il a beaucoup de monde, pour dire avoir l'usage du monde : « Plusieurs personnes qui se piquent de politesse, parlent de la sorte ; mais plusieurs personnes polies en font scrupule, et c'est ce qui me rend la phrase suspecte. Pour m'en servir, je voudrais qu'elle fût plus établie. » Cette locution s'est en effet établie.

2. Th. Corneille remarque que un monde de… pour signifier une infinité, une multitude, n'est plus usité ; mais la Fontaine s'en est très bien servi ; et la locution a repris faveur.

HISTORIQUE

XIIe s. Touz l'ors del mont ne les pourreit tenser [préserver], Ronc. 78. Le Seignor [elle] prie qui le mont estora, ib. 175. Novele amor… Me fait chanter de la plus debonaire Qu'on puist el mont ne voer ne trouver, Couci, II.

XIIIe s. En tout ce mont [je] ne lui demanderoie Fors que s'amour, qui à la mort me mene, Couci, 126. Des nons et de la diversité des vens ne dira ore plus li maistres, por ce que les gens dou monde changent et devisent les nons selonc lor usage et selon la diversité des langages, Latini, Trésor, p. 121. A-il mesaise au monde qu'à la moie [à la mienne] compere [soit égale] ? Berte, XVIII. [il] N'[y] avoit si male garce tant com dure li mons, ib. XXIII. Là fu Vilains de Nulli, qui bien estoit uns des bons chevaliers du monde, Villehardouin, XXXIII. Onques si grans afaires ne fu empris de nulle gent puis que li mons fu estorés, Villehardouin, LXI. Et bien sachiés que tos li mons le tint à grant miracle, Villehardouin, CLXI. Avarice a le mont sorpris [s'est emparée du monde], Ren. 193. De mainte guise a gent el monde, Que li un sont de pechié monde, Et moult i en a d'entechiez De toz les creminiés pechiez, ib. 15646.

XVe s. L'homme du monde qui plus aida le roy Philippe à parvenir à la couronne, ce fut…, Froissart, I, I, 54. Ne me sembloit qu'il fust homme en ce monde Qui me vausist [valût] de sens et de povoir, Deschamps, Ball. sur les erreurs de la jeunesse. Au temps passé quant nature me fist En ce monde venir…, Orléans, Poésies, p. 1. Et ne vouldroie estre en cely train pour un monde d'or, car j'en seroie à blasmer devant Dieu et devant les hommes, J. Chastelain, Chr. de Bourg. II, 26. On le presume mort au monde ; On le tient pour desnaturé, Coquillart, Droits nouveaux. Ils ne pensoient qu'à leurs divisions, et à faire ung monde neuf, et ne regardoient point à plus loing, Commines, V, 16. Ils en eurent un monde de biens, qui estoient dedans [le chasteau], Commines, VII, 14.

XVIe s. Il y a un monde de vices caché en l'ame de l'homme, Calvin, Inst. 540. Sans laquelle imprudence, la fontaine dureroit un monde d'ans, De Serres, 772. Sçavez-vous bien comme on s'entretenoit, Vingt ans, trente ans ? cela duroit un monde, Au bon vieux temps, Marot, II, 121. Hors du monde je me retire, Marot, III, 38. Sus, sus, mon cœur, Dieu où tout bien abonde Te faut louer : louez le, tout le monde, Marot, IV, 315. En ce mesme monde [dans l'Inde], Montaigne, I, 16. Un monde d'ennemis, Montaigne, I, 19. Les opinions du monde, Montaigne, I, 69. Il estoit bien près de mourir de soif, car il n'y avoit eau du monde au lieu où il s'étoit retiré, Amyot, Artax. 15. Il les estimoit les plus effrontez hommes du monde, Amyot, ib. 98. Hommes mechans, haïz des dieux et du monde, Amyot, Dion, 37. La divinité au gouvernement de laquelle l'univers obeissant est de faict et de nom monde, qui autrement ne seroit que desordre et confusion, Amyot, ib. 13. Que s'il y a aucune loy qui s'escarte le moins du monde de cette premiere et originelle matrice, c'est un monstre, une fausseté, une erreur, Charron, Sagesse, II, 3. Savoir son monde, Oudin, Curios. franç. Ainsi va le monde ; quand l'un descend, l'autre monte, Oudin, ib. Qui veut la conscience monde, il doit fuir le monde immonde, Cotgrave Le monde est bien mangé de rats, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 330. Le monde est rond ; qui ne sait nager va au fond, Leroux de Lincy, ib. Le monde n'est monde, Leroux de Lincy, ib. Le monde parle, l'eau coule, le vent souffle, l'aage s'escoule, Leroux de Lincy, ib. Quant à la restitution de l'escarboucle et monde d'or qu'avons presentement en nos mains pour gaige…, De Laborde, Émaux, p. 396.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. mun, mon, mont ; cat. mon ; esp. et port. mundo ; ital. mondo ; du latin mundus, proprement ce qui est ordonné, bien disposé (voy. MONDE 2). Mundus, ayant les deux sens d'ornement, bon arrangement et de monde, est la traduction du grec ϰόσμος, qui a aussi ces deux sens. Dans ϰόσμος, le sens d'orner, d'arranger est le premier, et celui de monde est secondaire, dû, suivant Plutarque, aux pythagoriciens qui considéraient le monde comme un arrangement. La même idée a déterminé l'emploi latin de mundus ; au sens de monde, il se trouve dès Ennius et Plaute ; l'on sait d'ailleurs que, grâce à la grande Grèce, la philosophie pythagoricienne n'était pas ignorée à Rome, dès ce haut temps.