« oeil », définition dans le dictionnaire Littré

oeil

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

œil

(eull, ll mouillées), au plur. YEUX (ieû ; l'x se lie : des ieû-z humides) s. m.

Résumé

  • 1° L'organe de la vue.
  • 2° Œil nu, la vue simple.
  • 3° Œil artificiel.
  • 4° Organe de la vue considéré comme l'indice des qualités, des passions et des sentiments.
  • 5° Action de la vue, regard, faculté de voir.
  • 6° Œil, yeux, dans le sens de contemplation, de surveillance, de guet.
  • 7° L'œil du maître.
  • 8° Mauvais œil.
  • 9° Voir de ses yeux, par ses yeux, emprunter les yeux ; voir par les yeux de l'esprit, les yeux de la foi.
  • 10° Faire des yeux ; faire les gros yeux ; faire de l'œil.
  • 11° Œil se dit des lumières intérieures.
  • 12° Ce qui éclaire.
  • 13° L'œil de la nature.
  • 14° Le coin de l'œil.
  • 15° Œil se dit quelquefois pour la personne même.
  • 16° La puissance du regard.
  • 17° Les yeux, la présence.
  • 18° Yeux dit pour lunettes.
  • 19° Clin d'œil.
  • 20° Coup d'œil.
  • 21° Lustre des étoffes.
  • 22° Nuance, teinte légère.
  • 23° Synonyme de miroir, en parlant du plumage des oiseaux.
  • 24° Ouverture dans quelques outils ou instruments.
  • 25° Nom de différentes ouvertures, en termes de marine.
  • 26° En peinture, les yeux d'une draperie, les points où se cassent les plis.
  • 27° Vides qui se trouvent dans la mie de pain, dans le fromage.
  • 28° En jardinage, bourgeon rudimentaire ; couronne des dents du calice.
  • 29° Dans l'imprimerie, relief de la lettre.
  • 30° Œil de perdrix.
  • 31° Œil-de-bœuf.
  • 32° Œil-de …, nom de certaines pierres.
  • 33° Nom de certains coquillages, poissons, oiseaux, etc.
  • 34° Nom de certaines plantes.
  • 35° Yeux d'écrevisse.
  • 36° Au jeu de l'hombre, yeux de ma grand'mère.
  • 37° À l'œil.
  • 38° À vue d'œil.
  • 39° De l'œil.
  • 40° Entre deux yeux.
  • 41° Entre quatre yeux.
  • 42° Jusqu'aux yeux.
  • 43° Par-dessus les yeux.
  • 44° Non plus, pas plus que dans mon œil.
  • 1L'organe de la vue. De bons yeux. De mauvais yeux. De beaux yeux. Un œil bien fendu. J'ai acheté quatre yeux de bœuf pour en étudier l'organisation. Son œil tout pénitent ne pleure qu'eau bénite, Régnier, Sat. XII. Il [un tableau] doit être colloqué fort peu au-dessus de l'œil et plutôt au-dessous, Poussin, Lett. 28 avril 1639. Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau, Corneille, Cid, III, 3. Semblable à nos yeux qui découvrent tout, et sont aveugles seulement pour eux-mêmes, La Rochefoucauld, Prem. pens. 1. Le Seigneur ne vous a point donné jusqu'aujourd'hui un cœur qui eût de l'intelligence, des yeux qui pussent voir, et des oreilles qui pussent entendre, Sacy, Bible, Deuter. XXIX, 4. [Chez le chat] Un modeste regard et pourtant l'œil luisant, La Fontaine, Fabl. VI, 5. Elle… fait la moue pour montrer une petite bouche, et roule ses yeux pour les faire paraître grands, Molière, Critique, 2. Et ses roulements d'yeux, et son ton radouci N'imposent qu'à des gens qui ne sont point d'ici, Molière, Mis. I, 1. Je ne sais qui me tient, infâme, Que je ne t'arrache les yeux, Molière, Amph. II, 3. M'as-tu de tes gros yeux assez considéré ? Molière, ib. III, 2. Le plaisir d'aimer sans oser le dire a ses peines, mais aussi il a ses douceurs… les yeux s'allument et s'éteignent dans un même moment…, Pascal, Pass. de l'amour. Les yeux sont les interprètes du cœur ; mais il n'y a que celui qui y a intérêt qui entend leur langage, Pascal, ib. Des yeux il [l'esprit de finesse] va jusqu'au cœur, et par le mouvement du dehors il connaît ce qui se passe au dedans, Pascal, ib. Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie, Pascal, Pens. XXIV, 33, édit. HAVET. Le plus grand supplice des yeux malades est de les exposer au grand jour et de les forcer de le voir, Nicole, Ess. mor. 2e traité, ch. 10. Ô Seigneur, vous avez fait, comme dit le Sage, l'œil qui regarde et l'oreille qui entend, Bossuet, le Tellier. Combien n'a-t-on point vu de belles aux doux yeux, Avant le mariage anges si gracieux…, Boileau, Sat. X. Il ouvre un œil mourant qu'il referme soudain, Racine, Phèdre, V, 6. Mon désespoir, mes yeux de pleurs toujours noyés, Racine, Andr. IV, 3. Muet, chargé de soin et les larmes aux yeux, Il ne me laissait plus que de tristes adieux, Racine, Bérén. I, 4. Hélas ! sans frissonner, quel cœur audacieux Soutiendrait les éclairs qui partaient de vos yeux ? Racine, Esth. II, 7. Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants, Entrant à la lueur de nos palais brûlants, Racine, Andr. III, 8. Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir, Peuple ingrat ? Racine, Athal. I, 1. Le visage large et carré, avec de petits yeux noirs, qui d'abord paraissaient vifs, mais qui n'étaient que curieux et inquiets ; de ces yeux toujours remuants, toujours occupés à regarder, Marivaux, Marianne, 5e part. J'ai vu de beaux yeux pleurer en le lisant [le 5e acte de Zulime] ; mais je me défie toujours des beaux yeux : celles qui les portent sont d'ordinaire séduites ou trompeuses, Voltaire, Lett. d'Argental, 22 mars 1740. On a trouvé qu'avec deux yeux égaux en force on voyait mieux qu'avec un seul œil, mais d'une treizième partie seulement, Buffon, De la vue. En général, les gazelles ont les yeux noirs, grands, très vifs, et en même temps si tendres que les Orientaux en ont fait un proverbe, en comparant les beaux yeux d'une femme à ceux de la gazelle, Buffon, Quadrup. t, V, p. 361. L'œil doit être regardé comme une expansion du nerf optique, ou plutôt l'œil lui-même n'est que l'épanouissement d'un faisceau de nerfs qui, étant exposé à l'extérieur plus qu'aucun autre nerf, est aussi celui qui a le sentiment le plus délicat, Buffon, Hist. nat. hom. Œuv. t. IV, p. 495. Les yeux que l'on croit être noirs ne sont que d'un jaune brun ou d'orangé foncé ; il ne faut, pour s'en assurer, que les regarder de près ; car, lorsqu'on les voit à quelque distance, ou qu'ils sont tournés à contre-jour, ils paraissent noirs, parce que la couleur jaune brun tranche si fort sur le blanc de l'œil qu'on la juge noire par l'opposition du blanc, Buffon, ib. t. IV, p. 284. Les différentes couleurs des yeux sont l'orangé foncé, le jaune, le vert, le bleu, le gris et le gris mêlé de blanc, Buffon, ib. t. IV, p. 283. L'œil appartient à l'âme plus qu'aucun autre organe ; il semble y toucher et participer à tous ses mouvements, il en exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumultueuses comme les mouvements les plus doux et les sentiments les plus délicats, Buffon, ib. t. IV, p. 281. Qu'est-ce à votre avis, que des yeux, lui dit M. de… ? C'est, lui répondit l'aveugle, un organe sur lequel l'air fait l'effet de mon bâton sur ma main, Diderot, Lett. sur les aveugl. Œuvr. t. II, p. 183, dans POUGENS. Locke convint avec lui [M. Molinet] qu'un aveugle-né dont les yeux s'ouvriraient à la lumière, ne distinguerait pas à la vue un globe d'un cube, Condillac, Traité des sens, I, II, 1. Les objets se peignent au fond de nos yeux dans une situation renversée, et cependant nous les voyons droits, Brisson, Traité de phys. t. II, p. 282, dans POUGENS. L'œil est le sens de la beauté physique, et l'oreille est par excellence le sens de la beauté intellectuelle et morale, Marmontel, Élém. de litt. Œuv. t. V, p. 329, dans POUGENS. De grands yeux qui ne disent mot, Saurin, Mœurs du temps, sc. 14. Une statue de Jupiter, conservée autrefois, disait-on, dans le palais de Priam : elle a trois yeux, dont l'un est placé au milieu du front, soit pour désigner que ce dieu règne également dans les cieux, sur la mer et dans les enfers, soit peut-être pour montrer qu'il voit le passé, le présent et l'avenir, Barthélemy, Anach. ch. 53.

    Œil cerclé, œil laissant voir autour de la cornée un cercle blanc qui n'est qu'une portion de la sclérotique.

    Avoir les yeux au beurre noir, les yeux pochés, les yeux en compote, c'est-à-dire avoir les yeux meurtris par un coup.

    Les yeux gros, les yeux prêts à pleurer, ou qui viennent de pleurer. Il est vrai qu'on dit cela les yeux gros, et cela doit ennuyer les vôtres, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 16 oct. 1760.

    Fig. N'avoir des yeux que pour voir une chose, ne pouvoir considérer que cette chose. La vérité, qu'ils [les mauvais rois] ont craint de voir, fait leur supplice, ils la voient, et n'ont des yeux que pour la voir s'élever contre eux, Fénelon, Tél. XVIII.

    Fig. N'avoir des yeux que pour voir, accorder une préférence exclusive à. Leur mère [de Rosimond et Braminte], qui avait horreur de son fils aîné, n'avait des yeux que pour voir le cadet, Fénelon, t. XIX, p. 21.

    Fig. N'avoir des yeux que pour… aimer uniquement, considérer, estimer uniquement. Pour moi, qui vous aimai sans sceptre et sans couronne, Qui n'ai jamais eu d'yeux que pour votre personne, Corneille, D. Sanche, I, 3. N'ayez d'yeux que pour moi, qui n'en ai que pour vous, Molière, Psyché, III, 3. L'amour que vous lui donnez éclate dans toutes ses actions, et l'empêche d'avoir des yeux que pour vous, Molière, Comtesse, 2. Oubliant tant de prophéties qui leur parlaient si expressément de ses humiliations [du Messie], ils n'eurent plus d'yeux ni d'oreilles que pour celles qui leur annoncent des triomphes, Bossuet, Hist. II, 5. La reine, à vous ouïr, n'a des yeux que pour vous, Racine, Alex. I, 2. Le maréchal de Lorge rencontra une épouse qui n'eut des yeux que pour lui malgré la différence d'âge, Saint-Simon, 112, 217.

    N'avoir plus d'yeux pour…, ne plus aimer, ne plus considérer. Je me défendrai mieux contre votre courroux, Et pour le mériter je n'ai plus d'yeux pour vous, Corneille, Hor. II, 5. Je n'ai plus d'yeux pour vous, vous en avez pour moi, Corneille, ib. II, 5. Rome, tant qu'il vivra, n'aura plus d'yeux pour moi, Corneille, Othon, III, 5. Uniquement occupés de la lumière du ciel… ils n'ont pas d'yeux pour tout ce qui se passe dans le monde, Massillon, Avent, Épiph. Elle n'a plus d'yeux pour le reste du monde, Massillon, Panég. Ste Magd. Familièrement. Aimer quelqu'un comme ses yeux, plus que ses yeux, l'aimer tendrement. Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux, La Fontaine, Fabl. VIII, 22. Je ne peux vous dire, madame, que je vous aime comme mes yeux ; mais je vous aime comme mon âme, car je me suis toujours aperçu qu'au fond mon âme pensait comme la vôtre, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 9 août 1771.

    Familièrement. Conserver une chose comme la prunelle de l'œil, comme la prunelle de ses yeux, la conserver soigneusement, précieusement.

    Fig. Couver des yeux une personne, une chose, regarder cette personne, cette chose avec intérêt, avec complaisance. Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort, Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor, La Fontaine, Fabl. VII, 11.

    Fig. et familièrement. Manger, dévorer quelqu'un des yeux, le regarder avec avidité.

    On dit dans le même sens : manger, dévorer quelque chose des yeux. Il a toujours la vue Dessus cet os et le ronge des yeux, La Fontaine, Jum.

    On dit que des gens se mangent les yeux, le blanc des yeux, sont prêts à se sauter aux yeux, pour signifier qu'ils sont en querelle violente, en procès.

    Être près de s'arracher les yeux, avoir une violente altercation. Nous nous sommes arraché le blanc des yeux, Helvétius, Saurin et moi, Diderot, Mém. t. II, p. 28, dans POUGENS.

    Fermer les yeux, rapprocher les paupières de manière à intercepter la vue. Fermez l'œil droit. Il ferma les yeux et s'endormit.

    Fermer les yeux de quelqu'un, à quelqu'un, lui clore les paupières qui restent ouvertes après l'agonie ; et fig. l'assister à ses derniers moments.

    Fermer les yeux, mourir. Lorsque mon oncle eut fermé les yeux, Montesquieu, Lett. pers. 142. Depuis qu'Albaydé dans la tombe a fermé Ses beaux yeux de gazelle, Hugo, Orient. 36.

    On dit dans le même sens : son œil se ferme, ses yeux se ferment à la lumière. Bientôt son œil se ferme au jour qui nous éclaire, Lemercier, Fréd. et Bruneh. V, 1.

    Ne pouvoir fermer l'œil, n'avoir pas fermé l'œil, les yeux de toute la nuit, ne pouvoir dormir, n'avoir pu reposer de toute la nuit. Le pauvre garçon n'a pas fermé l'œil de toute la nuit, il n'a fait que se tourmenter dans son lit, Dancourt, les Fonds perdus, I, 4. Après la journée qui venait de se passer, Oswald ne put fermer l'œil de la nuit, Staël, Corinne, VIII, 1.

    Les yeux fermés, les yeux clos, c'est-à-dire sans avoir besoin de recourir à la vue. Je connais le chemin, j'irais là les yeux fermés.

    Fig. Les yeux clos, les yeux fermés, se dit quand, par confiance ou par déférence pour quelqu'un, on fait ce qu'il désire, sans rien examiner. Il signa le contrat les yeux fermés.

    L'on dit dans le même sens figuré : les yeux bandés. Abandonnez-vous à Dieu, ma très chère, laissez-vous conduire les yeux bandés, Maintenon, Lett. à Mme de la Maisonfort, 12 déc. 1690.

    À yeux fermés, avec les yeux fermés. Je méditais dans mon lit à yeux fermés, Rousseau, Confess. VI.

    Crever les yeux, léser les yeux par un coup, par une blessure, de manière qu'ils soient incapables de voir.

    Fig. et familièrement. Crever les yeux, se dit d'une chose qu'il est en quelque façon impossible de ne pas voir. Vous cherchez votre tabatière, elle vous crève les yeux. Trissotin : Pour moi, je ne vois pas ces exemples fameux. - Clitandre : Moi, je les vois si bien qu'ils me crèvent les yeux, Molière, F. sav. IV, 3.

    Crever les yeux, se dit aussi d'une chose évidente qu'on n'aperçoit pas. Vous disputez à tort, la chose est évidente, elle crève les yeux.

    Les yeux du corps, par opposition aux yeux de l'esprit, à la vue intellectuelle. Je suis venu, le flambeau à la main, les exhorter à ne rien croire en matière de philosophie, que ce qu'ils verraient clairement soit des yeux du corps, soit de ceux de l'esprit, Mairan, Éloges, l'abbé de Molières.

    Sur les yeux de la tête, sorte de commandement ou de défense que l'on fait, comme si l'on menaçait d'arracher les yeux de la tête. Petit Jean : Ho, ho, monsieur ! - Léandre : Tais-toi, sur les yeux de ta tête, Racine, Plaid. II, 8.

    Fig. Cela coûte les yeux de la tête, c'est-à-dire cela est d'un prix excessif.

    Par extension. Ces murs mêmes, seigneur, peuvent avoir des yeux [des gens cachés derrière peuvent nous voir], Racine, Brit. II, 6.

    Frais comme l'œil, se dit, à la halle, d'un poisson très frais.

    Ce poisson a un pied entre œil et bat, il a un pied entre l'œil et la queue.

    Par exagération. Les yeux lui sortent de la tête, c'est-à-dire il a de fort gros yeux, et aussi ses yeux sont enflammés de fureur.

    Pleurer d'un œil, et rire de l'autre, témoigner à la fois du chagrin et de la joie. Il pleure d'un œil et rit de l'autre, La Bruyère, VIII.

    Ne dormir que d'un œil, ne pas s'endormir tout à fait, afin de continuer à faire bonne garde. Lui quand il dort d'un œil, l'autre fait sentinelle, Regnard, Fol. amour. I, 1.

    Baisser les yeux, diriger les yeux de manière que le regard se porte en bas. …Ma fille, vous pleurez, Et baissez devant moi vos yeux mal assurés, Racine, Iphig. IV, 4. Le Corrége est peut-être le seul peintre qui sait donner aux yeux baissés une expression aussi pénétrante que s'ils étaient levés vers le ciel, Staël, Corinne, XIX, 6.

    Lever les yeux, les diriger de manière que le regard se tourne en haut.

    Fig. Ne pas oser lever les yeux, être plein de honte, de confusion. À peine ose-t-il lever les yeux, Fénelon, Tél. V.

    Ne pas en croire ses yeux, douter si ce qu'on voit est bien réel.

    Fig. et populairement. Se mettre le doigt dans l'œil, se tromper, se causer du dommage à soi-même.

    Populairement. Tourner de l'œil, mourir.

    Faire les yeux blancs, menacer d'avoir une défaillance.

    Populairement. Taper de l'œil, dormir profondément.

    Populairement. Se battre l'œil de quelqu'un, de quelque chose, ne pas s'en soucier (locution dite par moquerie à l'imitation de battre sa coulpe). Mordié ! je me bats l'œil du Mercure et de toi, Boursault, Merc. gal. IV, 6.

    Il a plus grands yeux que grand ventre ou que grand'panse, il a les yeux plus grands que le ventre, c'est-à-dire il demande à manger plus qu'il ne lui faut ; et fig. il souhaite, il ambitionne des choses qui ne sont pas faites pour lui.

    Fig. Jeter de la poudre aux yeux de quelqu'un, l'éblouir, le surprendre. Travaillez, monsieur Ragotin, travaillez ; et, si dès cet hiver nous ne jetons de la poudre aux yeux de messieurs de l'hôtel de Bourgogne et du Marais, je veux ne monter jamais sur le théâtre, Scarron, Rom. com. I, 11.

    Autant vous en pend à l'œil, voy. PENDRE, v. n.

    Avoir de bons yeux, avoir des yeux qui voient loin, qui voient distinctement, qui ne se fatiguent pas à l'exercice.

    Par extension, avoir de bons yeux, voir distinctement et promptement ce qui échapperait aux autres. Si l'on dit d'un connaisseur qui distingue et apprécie les beautés d'un tableau, qu'il a de bons yeux, cette expression ne lui attribue rien de matériel, mais du goût et de la pénétration, Duclos, Œuvres, t. X, p. 97.

    Fig. Sachez… que les courtisans ont d'aussi bons yeux que d'autres, Molière, Critique, 7. Ils [les dupes en dévotion] veulent que chacun soit aveugle comme eux, C'est être libertin [incrédule] que d'avoir de bons yeux, Molière, Tart. I, 6. J'ai de bons yeux, madame ; Vous cherchez un prétexte à rejeter ma flamme, Th. Corneille, l'Inconnu, II, 5.

    Avoir bon pied, bon œil, se bien porter, être actif et dispos, surtout en parlant d'une personne qui commence à n'être plus jeune.

    Avoir bon pied, bon œil, signifie aussi se tenir sur ses gardes, être vigilant.

    Elliptiquement. Bon pied, bon œil, c'est-à-dire prenez garde à vous. Courage, Valentin ; ferme, bon pied, bon œil, Regnard, Ménechmes, II, 8.

    Fig. Avoir les yeux malades, les yeux bouchés, les yeux de travers, ne pas voir les choses telles qu'elles sont.

    Dans le même sens. Où aviez-vous les yeux ? se dit en reprochant à une personne de n'avoir pas vu ce qu'elle aurait dû voir.

    Fig. On ne sait où il avait les yeux, il fallait qu'il eût les yeux au talon, se dit de celui qui a fait une affaire notoirement désavantageuse.

    Avoir des yeux de chat, avoir les yeux entre gris et roux ; et aussi fig. y voir clair dans une demi-obscurité.

    Œil de chat, se dit quelquefois à cause de cela pour héméralopie.

    Avoir des yeux d'aigle, avoir les yeux vifs et perçants ; et fig. avoir une grande pénétration d'esprit.

    Avoir des yeux de bœuf, avoir de gros yeux, par comparaison avec les gros yeux du bœuf.

    Chez le cheval, œil de bœuf ou œil gros, œil à cornée très convexe, donnant à l'animal un air stupide, et le rendant myope. Œil petit ou gras, ce défaut peut provenir du peu de volume du globe, ou du peu d'ouverture des paupières. Œil couvert ou de cochon, œil trop petit et enfoncé dans l'orbite.

    Ce cheval a l'œil vairon, voy. VAIRON.

  • 2Œil nu, la vue simple, non augmentée de quelque instrument. L'œil nu sans le secours d'aucun instrument suffisait à l'observation de la lune et à la division du zodiaque qui naît de ce mouvement, Bailly, Hist. d'astron. anc. p. 46.

    À l'œil nu, avec l'œil seul, sans instrument. On ne peut voir ces insectes à l'œil nu.

    Au plur. À yeux nus. Ma vue courte ne me permet pas de distinguer à yeux nus assez nettement les astres, Rousseau, Confess. VI.

  • 3Œil artificiel, instrument dont on se sert dans les cours de physique pour expliquer les effets de la vision.

    Œil artificiel, se dit aussi d'un œil en émail qu'on met dans l'orbite en remplacement d'un œil détruit et pour cacher la difformité.

    Œil de verre, œil artificiel en verre ou en émail. rgane de la vue considéré comme l'indice des qualités, des passions et des sentiments. Avoir l'œil vif, malin, doux, tendre, ou, au pluriel, les yeux vifs, doux, tendres. Elle a des yeux pleins de feu. La gaieté, le courage, l'ardeur éclate dans ses yeux. Et le roi, de quel œil voit-il tant de vaillance ? Corneille, Cid, IV, 1. Montrez un œil plus triste, Corneille, ib. IV, 4. J'ai pitié de moi-même et jette un œil d'envie Sur ceux dont notre guerre a consumé la vie, Corneille, Hor. II, 3. Ces pleurs, que je regarde avec un œil d'époux, Corneille, Poly. I, 1. La vengeance à la main, l'œil ardent de colère, Corneille, ib. I, 3. Je n'en suis point jaloux, et ma triste amitié Ne le verra jamais que d'un œil de pitié, Corneille, Rodog. III, 5. L'œil de Dieu regarda favorablement les anciens des Juifs, Sacy, Bible, Esdras, I, V, 5. J'arrêterai l'œil de ma colère sur cet homme, et je le retrancherai du milieu de son peuple parce qu'il a donné de sa race à Moloch, Sacy, ib. Lévit. XX, 3. De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue ! Molière, Éc. des femmes, IV, 1. Je n'aurais rien à craindre, si tout le monde vous voyait des yeux dont je vous vois, Molière, l'Avare, I, 1. J'attendrai, d'un œil constant, ce qu'il plaira au ciel de résoudre de moi, Molière, Fourber. I, 3. Ils se regardaient d'un œil jaloux, Bossuet, Hist. I, 8. Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue, Boileau, Sat. IX. D'un geste menaçant, d'un œil brûlant de rage, Racine, Théb. V, 3. C'est moi qui, sur ce fils chaste et respectueux, Osai jeter un œil profane, incestueux, Racine, Phèdre, V, 7. Ah dieux ! lorsqu'à mes yeux l'ingrat inexorable S'armait d'un œil si fier, d'un front si redoutable, Racine, ib. IV, 5. La reine alors, sur lui jetant un œil farouche, Racine, Athal. II, 2. Je prétends qu'à mon tour l'inhumaine me craigne, Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés, Me rendent tous les noms que je leur ai donnés, Racine, Andr. III, 1. Elle vous plaint, vous voit avec des yeux de sœur, Racine, Iphig. II, 1. Et de quel œil Ma mère a-t-elle vu confondre son orgueil ? Racine, Brit. III, 1. Je fuis des yeux distraits Qui, me voyant toujours, ne me voyaient jamais, Racine, Bérén. I, 4. Rome vous voit, madame, avec des yeux jaloux, Racine, ib. I, 5. Soutiendrai-je ces yeux dont la douce langueur Sait si bien découvrir les chemins de mon cœur ? Racine, ib. IV, 4. Il [le Seigneur] a toujours sur vous un œil jaloux, appliqué à étudier les affaiblissements de votre cœur, et prompt à vous les reprocher, Massillon, Profess. relig. Serm. 4. Rien ne ressemble moins à la charité que cet œil malin qui ne s'ouvre que pour chercher les faiblesses de nos frères, Massillon, Confér. Zèle contre les vices. César, le regardant d'un œil tranquille et doux, Lui pardonnait encore en tombant sous ses coups, Voltaire, Mort de Cés. III, 8. Tu vois, sage Ariston, d'un œil d'indifférence La grandeur tyrannique et la fière opulence, Voltaire, Disc. 1. Elle a vu mon rival d'un œil de complaisance, Piron, Métrom. III, 2. Elle avait des yeux fripons qui rencontraient quelquefois les miens, Rousseau, Confess. II. Le courtisan, en trompant l'œil jaloux d'Agrippine et l'œil curieux du peuple romain, Diderot, Claude et Nér. I, 48. Un philosophe payen n'a pu voir la conduite de Sérénus de l'œil d'un prêtre chrétien, Diderot, ib. I, 50. Je vois d'un œil assez froid et philosophique le dépérissement de mes facultés corporelles et intellectuelles, D'Alembert, Lett. au roi de Prusse, 29 juin 1781. L'œil marque le remords, la paix d'une âme pure ; Du noble enthousiasme il exprime le feu ; Il s'attendrit sur l'homme, il s'élève vers Dieu, Delille, Imag. III. Que dis-je ? ces accents tantôt fiers, tantôt doux ; C'est l'œil, oui c'est l'œil seul qui les rassemble tous ; Dans sa noble structure, en prodiges féconde, Le plus frappant n'est pas de retracer le monde, De réfléchir les cieux, les forêts et les mers, Mais de peindre cette âme où se peint l'univers, Delille, ib. L'enfer est dans ton cœur et le ciel dans tes yeux, Delille, Parad. perdu, X. Ce chrétien sans fureur, qui succombe et qui prie, Sur le signe impuissant de son idolâtrie Attache un œil d'amour, l'invoque, et radieux Tombe aux pieds d'Idamore en lui montrant les cieux, Delavigne, Paria, V, 6.

    Voir de bon œil ou d'un bon œil, de mauvais œil ou d'un mauvais œil, voir avec satisfaction ou avec déplaisir, avec affection ou avec inimitié. Vous qui dès le berceau de bon œil me voyez, Régnier, Élég. V. Et, depuis, le soleil de bon œil ne te vit, Régnier, Épît. I. Non, non, c'est d'un bon œil qu'Orode me regarde, Corneille, Suréna, V, 3. Qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vient vous dire : Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon œil ; à cause que Bonneuil est un village à trois lieues d'ici ! Molière, Critiq. 1. Les parlements, qui depuis longtemps voyaient de mauvais œil ces usurpateurs, et qui ne cherchaient qu'une occasion favorable pour s'en défaire, les bannirent du royaume, D'Alembert, Destr. des jésuit. Œuvr. V, p. 25, dans POUGENS.

    Voir les choses d'un autre œil, avec d'autres yeux qu'auparavant, les voir avec des sentiments différents de ceux qu'on avait. D'un autre œil nous verrons les fières destinées, Régnier, Sat. IV. Mais elle voit d'un œil bien différent du vôtre Son sang dans une armée, et son amour dans l'autre, Corneille, Hor. I, 1. Chacun voit ceux [les maux] d'autrui d'un autre œil que les siens, Corneille, ib. III, 4. On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain, La Fontaine, Fabl. I, 7. Ici vous verrez les choses d'un autre œil qu'en Provence, Sévigné, 168. Mais nous qui d'un autre œil jugeons les conquérants, Racine, Alex. II, 1.

    Molière a dit dans un sens analogue : jeter de nouveaux yeux. Et mon esprit jetant de nouveaux yeux sur elle, Pr. d'Él. I, 1.

    Dans un sens opposé. Voir de même œil, regarder du même œil ou d'un même œil, avoir les mêmes sentiments. Nous regardons ces écrits du même œil que vous, Bossuet, Projet de réunion, 2e part. Lett. X. Verrez-vous d'un même œil le crime et l'innocence ? Racine, Mithr. I, 2. Ma fille, je vous vois toujours des mêmes yeux, Racine, Iphig. II, 2. Il voudrait que tous les hommes la regardassent des mêmes yeux que lui, Massillon, Carême, Pécher.

    Voir une chose d'un œil sec, voir sans s'affliger une chose faite pour contrister. On demande pourquoi le même homme qui aura vu d'un œil sec les événements les plus atroces, qui même aura commis des crimes de sang-froid, pleurera, au théâtre, à la représentation de ces événements et de ces crimes, Voltaire, Dict. phil. Larmes.

    En termes de galanterie. Faire les doux yeux, les yeux doux à une femme, la courtiser. Et vous vous amusez à faire les yeux doux, Boisrobert, Belle plaideuse, I, 3. Il m'avertit des gens qui lui font les yeux doux [à ma femme], Molière, Tart. I, 6.

  • 5Action de la vue, regard, faculté de voir. Pour voir ce qui s'y passe [dans mon cœur] il ne faut que des yeux, Corneille, Sertor. II, 2. Il est vrai qu'elle et moi souvent nous nous sommes parlé des yeux, Molière, le Sicil. 3. Archimède… n'a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions, Pascal, Pens. XVII, 1, édit. HAVET. Votre fils plaît extrêmement… on ne saurait passer les yeux sur lui comme sur un autre, on s'arrête, Sévigné, 25 fév. 1685. Quand est-ce que j'entendrai cette bienheureuse nouvelle : ses femmes [de Paris] ne s'arment plus contre la pudeur, ses enfants ne soupirent plus après les plaisirs mortels, et ne livrent plus en proie leur âme à leurs yeux ? Bossuet, Serm. Résurr. dern. 1. De quelque côté qu'il tournât les yeux, Bossuet, Hist. II, 11. Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux, Racine, Andr. IV, 5. Apprenez que, suivi d'un nom si glorieux, Partout de l'univers j'attacherai les yeux, Racine, Mithr. II, 4. Des collines et des montagnes… dont la figure bizarre formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux, Fénelon, Tél. I. Cherchant des yeux son ennemi, Fénelon, ib. XVI. Elle consulte des yeux son père, Fénelon, ib. XXIII. À mesure qu'il s'avançait, il cherchait dans les yeux de Mentor pour voir s'il n'avait rien à se reprocher, Fénelon, ib. XXII. Il tenait l'œil sur ceux [les yeux] de sa femme, Hamilton, Gramm. 8. Elle s'y attendait, et nos yeux se rencontrèrent, Marivaux, Marianne, 3e part. …Puisque ton œil embrasse Et les cieux et l'enfer, et le temps et l'espace, Delille, Parad. perdu, I.

    L'œil de Dieu, le regard que Dieu jette sur toute chose. L'œil de Dieu voit tout, pénètre tout, perce le fond des abîmes, etc. c'est-à-dire il n'y a rien de caché à Dieu. Me voilà jugé avant le jugement de Dieu sur un fait où son œil, qui voit tout, sait que je ne suis mêlé en aucune sorte, Bossuet, Signatures des docteurs.

    Avoir devant les yeux, avoir devant son regard, devant soi. Nous avons devant les yeux un beau spectacle. Chacun avait la mort devant les yeux, Fénelon, Tél. V.

    Fig. Avoir devant les yeux, avoir la pensée tellement remplie de quelqu'un ou de quelque chose, qu'on y songe uniquement. Il a son devoir devant les yeux. Il n'a devant les yeux que sa chère Troyenne, Racine, Andr. II, 3. Je n'eus devant les yeux que mon père offensé, Racine, Mithr. I, 1.

    Ôter des yeux, de devant les yeux, écarter de la présence. Allons vite, ôte-toi de devant mes yeux, vilaine, Molière, Bourg. gent. III, 8.

    Mettre devant les yeux, faire voir, exposer. Le premier [cantique] nous met devant les yeux le passage de la mer Rouge, Bossuet, Hist. II, 3. Ils leur représentaient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes, et leur mettaient devant les yeux cet exemple si triste, Montesquieu, Lett. pers. 12.

    Remettre une chose devant les yeux, en faire ressouvenir, la remettre en mémoire.

    Mettre sous les yeux, mettre sous l'œil, faire voir. Je lui mis sous les yeux le récit de l'affaire. Des vérités qu'il faudrait vous mettre sous l'œil, Massillon, Carême, Parole. Je vous mettrais comme sous l'œil ce que je n'ai montré qu'en éloignement, Massillon, Or. fun. Villeroy. Molière a dit : mettre aux yeux. Mais votre conscience et le soin de votre âme Vous devraient mettre aux yeux que ma femme est ma femme, Molière, Sgan. 21. Je lui mettais aux yeux comme dans notre temps Cette soif [d'écrire] a gâté de fort honnêtes gens, Molière, Mis. I, 2.

    Sous l'œil, présent, en vue. Je me trouverais sous l'œil et sous la main du prince, pour recevoir de lui la grâce…, La Bruyère, VIII. Ô hommes ! vous ne connaissez pas les objets que vous avez sous l'œil, Massillon, Carême, Vérité de la religion.

    Familièrement. Avoir le compas dans l'œil, mesurer presque aussi juste avec la vue seule qu'on pourrait le faire avec un compas.

    Avoir l'œil exercé, avoir acquis, par l'habitude de regarder attentivement, la faculté de voir bien et promptement.

    Fig. Il a l'œil trop exercé pour ne s'être pas aperçu des ridicules de cet homme.

    Avoir des yeux de lynx, voir, découvrir les objets de loin ; et fig. voir clair dans les affaires, dans les desseins, dans les pensées des autres (voy. LYNX).

    Avoir des yeux, user de la faculté de voir, de discerner, de connaître. Pensez-vous, madame, qu'en ces lieux Seule pour vous connaître Octavie ait des yeux ? Racine, Brit. II, 3. Une autre aura des yeux, et va du moins connaître De quel prix mon amour et ma main devaient être, Voltaire, Zaïre, IV, 2. Vous, Actéon, mille autres par les dieux Furent punis pour avoir eu des yeux, Malfilâtre, Narcisse, III.

    Fig. Avoir des yeux, voir ce qui se passe, ne pas être dupe. Tout ce peuple a des yeux pour voir quel attentat Font sur le bien public les maximes d'État, Corneille, Nicom. III, 2. Montrons-leur hautement que nous avons des yeux, Corneille, ib. IV, 6. …Ou j'aime à me flatter ; Ou sur eux quelque orage est tout prêt d'éclater ; J'ai des yeux ; leur bonheur n'est pas encor tranquille, Racine, Iphig. II, 8. Il ne fallait qu'avoir des yeux, sans aucune connaissance de la cour, pour distinguer les intérêts peints sur les visages, Saint-Simon, 273, 236. Mon Dieu, milady, reprit cette femme, on a des yeux et des oreilles, Genlis, Vœux téméraires, t. I, p. 207, dans POUGENS.

    Avoir des yeux au bout des doigts, avoir le tact très délicat.

    Avoir un bandeau sur les yeux, avoir quelque préoccupation qui empêche de juger sainement des choses.

    Blesser les yeux, déplaire, causer du chagrin.

    Dessiller les yeux, voy. DESSILLER.

    Donner dans l'œil, dans les yeux, voy. DONNER, n° 42.

    Fasciner les yeux, les éblouir par des tours de subtilité, et aussi tromper par un faux éclat, une fausse apparence.

    Frapper les yeux, être fort visible.

    Fig. Frapper les yeux, être évident. Cette vérité frappe les yeux.

    Fig. Sauter aux yeux, être évident.

    Fermer l'œil ou les yeux sur…, à…, voy. FERMER, n° 5.

    Jeter les yeux sur, regarder. L'assemblée jeta les yeux sur Mentor, Fénelon, Tél. VI.

    On dit dans le même sens : les yeux se jettent. D'abord ses yeux se jetèrent sur moi, et me parcoururent, je dis se jetèrent, au hasard de mal parler ; mais c'est pour vous peindre l'avidité curieuse avec laquelle elle se mit à me considérer, Marivaux, Marianne, 5e part.

    Jeter les yeux, examiner. Jetons les yeux sur le peuple même, Bossuet, Hist. II, 9.

    Je n'ai fait que jeter les yeux sur cette brochure, je n'ai fait que la parcourir.

    Jeter les yeux sur, remarquer, distinguer, choisir. Il ne pouvait mieux faire que de jeter les yeux sur un si bon sujet, Sévigné, 407. Silanus, sur qui Claude avait jeté les yeux, Et qui comptait Auguste au rang de ses aïeux, Racine, Brit. I, 1. Vous me convenez fort, et je vous conviens mieux ; Sur vous on sait assez que je jette les yeux, Regnard, le Joueur, II, 4.

    Avoir les yeux ouverts, voy. OUVERT, n° 1.

    Ouvrir les yeux, ouvrir de grands yeux, voy. OUVRIR, n° 1.

  • 6Œil, yeux, pris dans le sens de contemplation, de surveillance, de guet. Il captivait [tenait captive] sa femme cependant, De ses cheveux voulait savoir le nombre, La faisait suivre à toute heure, en tous lieux, Par une vieille au corps tout rempli d'yeux, Qui la quittait aussi peu que son ombre, La Fontaine, On ne s'avise. Partout je veux porter l'œil de la vigilance, Briffaut, Ninus II, II, 1.

    Être tout yeux, contempler avidement. Je fus tout yeux pendant dix ou douze heures de suite, Maintenon, Lett. à Mme de Villarceaux, 27 août 1660.

    Être tout yeux, tout oreilles, contempler et écouter avidement ; et aussi, surveiller avec vigilance. Mais ce coquin de Dave est tout yeux, tout oreille, Prends garde…, Baron, Andrienne, III, 2.

    Cent yeux, se dit pour vigilance, surveillance attentive. …L'homme aux cent yeux n'a pas fait sa revue ; Je crains fort pour toi sa venue, La Fontaine, Fabl. IV, 2.

    Avoir l'œil au guet, prendre garde à tout ce qui se passe. Tout le jour, il avait l'œil au guet ; et la nuit, Si quelque chat faisait du bruit, Le chat prenait l'argent, La Fontaine, Fabl. VIII, 2. Aie aussi l'œil au guet, Nérine, et prends bien garde qu'il ne vienne personne, Molière, Pourc. I, 3. J'aurai l'œil au guet, et prendrai soin de vous avertir, Dancourt, la Gazette, sc. 2.

    Avoir des yeux d'Argus, être fort vigilant, observer tout avec soin, exercer une active surveillance (voy. ARGUS).

    Avoir l'œil à quelque chose, y veiller. Comme elle a toujours l'œil à la défiance, Régnier, Sat. XII. J'en réponds sur ma tête, et j'aurai l'œil à tout, Corneille, Héracl. III, 4. …Entrez dans cette porte, Et sans bruit ayez l'œil que personne n'en sorte, Molière, Éc. des maris, III, 5. Je suis malade au mont Krapac, je ne puis avoir l'œil à tout, Voltaire, Dict. phil. Quakers, III. J'ai conduit la maison… avec une économie remarquable et qui a été citée ; mon premier principe était d'y avoir l'œil, Genlis, Mém. t. III, p. 98.

    Tenir l'œil à, veiller à quelque chose. J'y tiendrai l'œil, La Fontaine, Magnif. Ce m'est un avis de tenir l'œil plus que jamais sur toutes ses actions, Molière, l'Avare, II, 3. …Et ont des officiers qui y tiennent l'œil et qui sont payés exprès pour y prendre garde, Corresp. de Colbert, III, 2, p. 307.

    Avoir l'œil sur quelqu'un, le surveiller. Nous avons beau sur ce sexe avoir l'œil…, La Fontaine, On ne s'av. Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens, Et régler la dépense avec économie, Molière, Femm. sav. II, 7.

    Avoir l'œil sur quelqu'un, le surveiller pour le préserver. Ayez l'œil sur le roi dans la chaleur des armes, Et conservez son sang pour épargner mes larmes, Corneille, Pomp. IV, 5. Ô vous, sur ces enfants si chers, si précieux, Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux, Racine, Ath. II, 7.

    Avoir l'œil sur, considérer attentivement. Et vous, doctes interprètes des lois… tout l'univers a les yeux sur vous, Bossuet, le Tellier. Toute la Grèce qui a les yeux sur nous, Fénelon, Tél. XX. Toute la France avait les yeux sur le roi, Hamilton, Gramm. 5.

    Avoir l'œil sur quelque chose, en prendre un soin attentif, y veiller. Pour vous, ma fille, vous aurez l'œil sur ce que l'on desservira, et prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât, Molière, l'Avare, III, 3. Indépendamment des lois, les censeurs eurent l'œil sur les mariages, Montesquieu, Esp. XXIII, 20.

    Avoir un œil aux champs et l'autre à la ville, prendre garde à tout.

    Par plaisanterie. Avoir un œil à Paris, l'autre à Pontoise, loucher.

  • 7L'œil du maître, la surveillance du principal intéressé. Il n'est pour voir que l'œil du maître ; Quant à moi, j'y mettrais encor l'œil de l'amant, La Fontaine, Fabl. IV, 21.

    L'œil du maître engraisse le cheval, c'est-à-dire il ne faut pas se reposer sur autrui du soin de ses affaires.

    L'œil de la fermière engraisse le veau.

    L'œil du fermier vaut fumier.

  • 8Mauvais œil, voy. MAUVAIS, no 4.
  • 9 Familièrement. Voir de ses yeux, de ses deux yeux, être témoin d'une chose. Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu, Ce qu'on appelle vu, Molière, Tart. V, 3. Mon Dieu, que je serai ravie de voir de mes deux yeux cette santé que tout le monde me promet, et sur quoi vous m'avez si bien trompée quand vous avez voulu ! Sévigné, 367. Les Français ont des ressources dans leur envie de plaire au roi, qui ne trouveraient point de créance dans tout ce qu'on nous en pourrait dire, si nous ne le voyions de nos propres yeux, Sévigné, 27 janv. 1692.

    Voir tout par ses yeux, ne s'en rapporter qu'à soi pour juger des choses. Il voit tout par ses propres yeux, Fénelon, Tél. XXII. Ne nous fions qu'à nous, voyons tout par nos yeux, Voltaire, Œdipe, II, 5.

    Voir par les yeux d'autrui, juger des choses par le rapport des autres. L'homme voit par les yeux de son affection, Régnier, Sat. V. Votre marâtre y règne, et le roi votre père Ne voit que par ses yeux, seule la considère, Corneille, Nicom. I, 1. Le prince faible ne verra que par les yeux d'un favori, Fénelon, Tél. XX.

    Emprunter les yeux d'un autre, voir par ses yeux. Ne saurait-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux ? Racine, Brit. I, 2.

    Voir une chose par les yeux de l'esprit, l'examiner par la raison.

    Voir une chose des yeux de la foi, la considérer avec les dispositions, les sentiments que donne la foi. Qu'il est beau de voir, par les yeux de la foi, Darius, Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode agir, sans le savoir, pour la gloire de l'Évangile ! Pascal, Pens. part. II, art. 12.

    Familièrement. Voir une chose des yeux de la foi, s'en rapporter à ce qu'on en dit. Sa gorge, que je ne vis que par les yeux de la foi, Boursault, Lett. nouv. t. III, p. 32, dans POUGENS.

  • 10Faire des yeux à quelqu'un, lui faire par le regard seul quelque reproche, quelque injonction. Sa mère lui faisait des yeux, point de nouvelles, Sévigné, 79. Madame d'Épinay me faisait des yeux ; et à la fin, quand j'ai eu tout dit, j'ai compris que je désobligeais…, Diderot, Mém. t. I, p. 285, dans POUGENS.

    On dit dans un sens analogue : faire les gros yeux. Je me prosterne aux pieds de maman, et je la supplie de ne me plus faire les gros yeux ; je tâcherai à l'avenir d'être un peu plus joli garçon, Diderot, Mém. t. III, p. 52, dans POUGENS. Populairement. Faire l'œil, témoigner par ses regards qu'on désire quelque chose. Faire l'œil à une bouteille de vin.

    On dit dans le même sens : faire de l'œil. Chacun à sa chacune But en faisant de l'œil…, La Fontaine, Cas.

  • 11 Fig. Œil se dit des lumières intérieures. Oh ! qu'il [Jésus-Christ] est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence, aux yeux du cœur et qui voient la sagesse ! Pascal, Pens. XVII, 1, éd. HAVET. La réflexion est appelée l'œil de l'âme, parce que, l'acte direct n'étant pas le plus souvent assez aperçu, la réflexion en l'apercevant l'affermit avec connaissance, Bossuet, Et. d'orais. V, 5. Mets tes feux dans mon cœur, mets des yeux dans mon âme, Delille, Parad. perdu, III.
  • 12Ce qui éclaire. La chronologie et la géographie sont les yeux de l'histoire. Saint Augustin nous fait paraître, dans la suite du quatrième siècle, comme les deux yeux de l'Orient en la personne de saint Basile et de saint Grégoire, Bossuet, Déf. de la trad. et des saints Pères, VIII, 32.
  • 13Les poëtes appellent le soleil l'œil de la nature. J'aperçois le soleil, quelle en est la figure ? Ici-bas ce grand corps n'a que trois pieds de tour ; Mais, si je le voyais là-haut dans son séjour, Que serait-ce à mes yeux que l'œil de la nature ? La Fontaine, Fabl. VII, 18.

    Il se dit, par suite de la même comparaison, de ce qui est comme un soleil. Philis, œil de mon cœur et moitié de moi-même, Régnier, Dial. La France, le cœur de l'Europe, centre de la chrétienté, œil de tout cet univers…, Naudé, Rosecroix, X, 1. Antioche, la troisième ville du monde, qu'on appelait l'œil de l'Orient, Bossuet, 5e avert. 31.

  • 14Le coin de l'œil, l'angle externe de l'œil. Regarder du coin de l'œil. Puis ce coin d'œil, par son langage doux, Rompt, à mon sens, quelque peu le silence : J'y lis ceci…, La Fontaine, Magnifique.

    Fig. Regarder du coin de l'œil une chose, la désirer sans le témoigner ouvertement. Ma belle-fille regarde les Rochers du coin de l'œil, comme moi, mourant d'envie d'aller s'y reposer, Sévigné, 11 mai 1689.

  • 15Il se dit quelquefois pour la personne même. Il y a des yeux qui voient tout, et ceux qui ne voient rien m'impatientent, Sévigné, 391. Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés Qu'à des pleurs éternels vous avez condamnés ? Racine, Andr. I, 4. Vous pensez que des yeux toujours ouverts aux larmes Se plaisent à troubler le pouvoir de vos charmes, Racine, Andr. II, 1. Peut-être d'autres yeux me sont plus favorables, Racine, ib. II, 2.
  • 16La puissance du regard. Mais puisqu'il plaît au ciel que par vos yeux je meure, Régnier, Élég. I. C'est trop peu de Jason que ton œil me dérobe ; C'est trop peu de mon lit, tu veux encor ma robe, Corneille, Médée, IV, 1. Tandis que sans songer à mal je vous regarde, Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur, Molière, les Précieuses, 10. Venez dans tous les cœurs faire parler vos yeux, Racine, Andr. II, 2. Et quoique d'un autre œil l'éclat victorieux Eût déjà prévenu le pouvoir de vos yeux, Racine, ib. IV, 5.

    Un bel œil, de beaux yeux, une belle femme. Sur mes pareils, Néarque, un bel œil est bien fort ; Tel craint de le fâcher, qui ne craint pas la mort, Corneille, Poly. I, 1.

    Pour de beaux yeux, pour l'amour d'une belle femme. …Que son mari n'avait pas assurément épousée pour ses beaux yeux, Hamilton, Gramm. 7.

    Fig. Pour les beaux yeux de quelqu'un, pour lui faire plaisir, pour lui. Je ne t'arrêtais pas ici pour tes beaux yeux, Corneille, Place Roy. III, 2. L'ordre établi par les grands dieux Se changera pour vos beaux yeux, Scarron, Virg. VI. Si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux, Molière, Préc. 16. Et quand vous me forcez à rester en ces lieux, Je sais que ce n'est point du tout pour mes beaux yeux, Regnard, Démocrite, V, 4. J'imaginai bien que ce n'était pas, comme on dit, à mes beaux yeux que je devais les avances du duc de Noailles, Saint-Simon, 318, 145.

    Gratuitement, sans salaire. Croit-il que je le logerai chez moi pour ses beaux yeux ! J'étais réduit… à vous servir sans plus pour vos beaux yeux, La Fontaine, Rich.

  • 17Les yeux, la présence. Pourrez-vous l'épouser dans quatre jours ! ô cieux ! Dans quatre jours ! seigneur, y voudrez-vous mes yeux ? Corneille, Tite et Bérén. III, 5. … C'est un pénible ouvrage D'arrêter un combat qu'autorise l'usage, Que les lois ont réglé, que les rois vos aïeux Daignaient assez souvent honorer de leurs yeux, Corneille, D. Sanche, II, 1.

    Aux yeux de, sous les yeux de, en présence de, sous les regards de. Celui qui offre un sacrifice de la substance des pauvres, est comme celui qui égorge le fils aux yeux du père, Sacy, Bible, Ecclésiastiq. XXXIV, 24. Et là vous me verrez, soumis ou furieux, Vous couronner, madame, ou le [votre fils] perdre à vos yeux, Racine, Andr. III, 7. Le triste Agamemnon Semble craindre à mes yeux de prononcer son nom, Racine, Iphig. II, 3. Comment pourra-t-il soutenir ces odieuses pancartes [billets d'enterrement de son père] qui déchiffrent les conditions ? … les supprimera-t-il aux yeux de toute une ville jalouse, maligne, clairvoyante ? La Bruyère, VI. Elle vit loin du monde sous les yeux de Dieu, Massillon, Avent, Concept. Voyez si vous n'agissez que sous les yeux de Dieu, Massillon, Myst. Œuvr. de misér. Au sortir de chez Mademoiselle, Segrais fut accueilli par une femme plus faite pour l'apprécier, par Mme de la Fayette, qui écrivit sous ses yeux les deux romans célèbres de la princesse de Clèves et de Zaïde, D'Alembert, Éloges, Segrais.

    Fig. Aux yeux, suivant la manière de voir, suivant le sentiment. Nulle promesse n'est sacrée à ses yeux. À mes yeux, c'est une grande faute qu'il a faite. Elle se farde aux yeux des hommes, mais d'une manière qui la rend encore plus méprisable et plus criminelle aux yeux de Dieu, Bourdaloue, 11e dim. après la Pentec. Dominic. t. III, p. 242. Aux yeux de tous les Grecs rendons-le criminel, Racine, Andr. II, 1.

  • 18 Familièrement. Yeux se dit pour lunettes. Il porte ses yeux dans sa poche. J'ai oublié mes yeux.

    Fig. Avez-vous vos yeux dans votre poche ? se dit à quelqu'un qui ne voit pas ce qu'il devrait voir.

  • 19Clin d'œil, voy. CLIN.
  • 20Coup d'œil, regard prompt et de peu de durée. Un coup d'œil expressif, menaçant. Et la moindre faveur d'un coup d'œil caressant Nous rengage de plus belle, Molière, Amph. I, 1. Je jetai un coup d'œil sur Mentor, Fénelon, Tél. V. Nous n'avons nulle précision dans le coup d'œil pour juger les hauteurs, les longueurs, les profondeurs, les distances, Rousseau, Émile, II. Ici les coups d'œil devinrent plus fréquents entre Claire et la Fanchon, Rousseau, Hél. VI, 11.

    Fig. Avoir le coup d'œil juste, avoir du coup d'œil, avoir le discernement prompt. Que vous vous connaissez bien en physionomie ! - J'ai le coup d'œil infaillible, Lesage, Turcaret, II, 4.

    Jeter un coup d'œil sur, examiner. Jetons un coup d'œil sur les événements remarquables de cette période. Le premier coup d'œil que nous jetons ensuite sur l'exemple des autres hommes qui vivent comme nous nous rassure, Massillon, Avent, Épiphan.

    Vue, aspect. Vous irez à Marseille, vous y verrez, à mon gré, le plus beau coup d'œil que l'on puisse voir, Sévigné, 517.

    Le premier coup d'œil, ce qui s'offre d'abord à la vue. Le roi avait une impatience extrême de savoir comme elle était faite [la future Dauphine] : il envoya Sanguin, qui est un homme vrai et incapable de flatter : Sire, dit-il, sauvez le premier coup d'œil, et vous en serez fort content, Sévigné, 411.

  • 21Lustre des étoffes, éclat des pierreries ; en ce sens, œil n'a point de pluriel. Cela dégrade et empire les étoffes, les endurcit, et empêche qu'elles n'aient l'œil et la perfection nécessaire, Règlem. sur les manuf. août 1669, Teinturiers en laine, art. 6. Les pièces se trouvent rudes, dures, brûlées et sans éclat, l'œil du noir paraissant rougeâtre et de couleur tannée, Procès verb. de police d'Amiens, 16 janv. 1671.

    Avoir de l'œil, produire de l'effet.

    On dit de même d'un tableau à effet, qu'il a de l'œil.

  • 22Nuance, teinte légère ; œil, en ce sens, n'a pas de pluriel. Le noir de son plumage est plus brillant, et il a des reflets qui lui donnent, à certains jours, un œil verdâtre, Buffon, Ois. t. VI, p. 52.

    Œil de perdrix, teinte qui ressemble à la couleur de l'œil de la perdrix. Les raisins violets que j'ai renfermés dans un étui avant qu'ils eussent commencé à changer de couleur, n'y ont pris qu'une teinte d'œil de perdrix, Bonnet, Us. feuilles, 5e mém.

    Ce vin a un œil louche, il a une couleur un peu trouble.

    Fig. Cette affaire a un œil louche, elle a quelque chose de suspect, une apparence peu satisfaisante.

    Un œil de poudre, une légère teinte de poudre mise sur les cheveux.

    Vin couleur d'œil de perdrix, ou, simplement, vin œil de perdrix, vin qui a une légère teinte rouge.

  • 23Synonyme de miroir (voy. ce mot), en parlant du plumage des oiseaux. Leur tige [des plumes d'un oiseau] est garnie de filets détachés, de couleur changeante, et elle se termine par une plaque de barbes réunies, ornées de ce qu'on appelle l'œil ou le miroir, Buffon, Ois. t. IV, p. 39.
  • 24Ouverture dans quelques outils ou instruments. L'œil d'une meule.

    L'œil d'une grue, d'une chèvre, le trou par où passent les câbles.

    La partie de l'aiguille dans laquelle on passe le fil.

    La petite ouverture d'une perle.

    Œil du pertuis, partie étroite du trou conique de la filière des tireurs d'or.

    Dans une bride de cheval, l'œil est la partie du haut de la branche qui est plate et percée pour joindre la branche à la têtière et tenir la gourmette attachée.

    Œil de roue, le trou rond par où passe l'essieu.

    Dans les chaînes d'attelage, l'œil est la boucle qui est au bout de la chaîne.

    Œil d'un étau, le trou par où passe la vis.

    Le trou qui sert à mettre le manche du marteau se nomme œil. Œil de bombe, d'obus, trou qui sert de lumière. Il avait ajouté qu'il s'arrangerait de manière que l'œil de l'obus ne se retournerait pas dans la pièce, Andréossy, Instit. Mém. acad. des sc. t. VII, p. 190. On disait dans un sens analogue : œil de grenade, œil de mine.

    En chirurgie, les yeux de la sonde, ouvertures oblongues non parallèles qui sont pratiquées dans une sonde, un peu avant le bec ou extrémité opposée au pavillon.

    Terme d'architecture. L'œil de la volute est son centre, qui se taille en forme de petite rose.

    Un œil de pont est une ouverture ronde au-dessus des piles et dans les arches d'un pont, pour faciliter l'écoulement des grosses eaux.

    Œil de dôme, ouverture qu'on ménage au haut d'un dôme, et qu'on couvre ordinairement d'une lanterne.

    Terme de maçonnerie. Toute ouverture de peu d'étendue.

    Terme de serrurerie. Ouverture à l'extrémité d'une tringle, d'une penture dans laquelle entre un gond, etc.

    Terme de métallurgie. Ouverture située au bas du fourneau, par laquelle s'écoule la matière fondue. Fondre par l'œil, fondre sans boucher ce trou. Œil de la tuyère, ouverture de la buse par où souffle le vent.

  • 25 Terme de marine. Trou percé dans une voile pour y passer un cordage.

    Œil de pie ou de ris, nom donné à chaque trou percé dans les bandes de ris des voiles hautes et basses, ainsi que dans la toile doublée ou façonnée en gaîne qui sert de têtière aux voiles d'étai et aux focs.

    Œil de l'ancre, trou pratiqué à l'extrémité supérieure de la verge de l'ancre pour recevoir l'organeau.

    Œil d'étai, ganse analogue à celle du hauban.

    Œil de capelage d'un hauban, ganse faite à la tête d'un hauban pour le passer autour de la tête du mât.

    Œil de la civadière, large trou fait à chacun des coins inférieurs de la civadière, par lequel l'eau de la mer qui remplissait le fond de cette voile pouvait aisément s'écouler.

    Yeux de bœuf, ancien nom des poulies qui sont vers le racage.

    Œil de perdrix, un des pavillons servant aux signaux.

  • 26 Terme de peinture. Les yeux d'une draperie, se dit des points où se cassent les plis.
  • 27Nom donné à certains vides qui se trouvent dans la mie de pain, dans le fromage. Les yeux du pain, du fromage. Ce pain a de grands yeux. Ce fromage n'a point d'yeux.

    Terme de cuisine. Marques de graisse qu'on aperçoit dans le bouillon. Ce bouillon est très gras, il a beaucoup d'yeux.

  • 28 Terme de jardinage. Petite pointe, bourgeon rudimentaire, qui se montre sur les arbres et arbrisseaux, à l'extrémité des rameaux, ou aux angles que forme l'insertion des feuilles ; cette petite pointe, au printemps suivant, devient bouton à bois ou à fruit. Tailler à deux yeux, à trois yeux, laisser sur la branche que l'on coupe deux, trois boutons à bois ou à fruit.

    Enter à œil poussant, à œil dormant, greffer en écusson à la première, à la seconde séve.

    Œil éventé, bouton à bois qui périt.

    Couronne formée des dents du calice et persistant au sommet du fruit ; les fruits des rosacées en offrent des exemples.

    Œil de la pomme de terre, petite saillie qui se voit dans les cavités de ce tubercule et d'où naissent des bourgeons aptes à produire de nouvelles plantes.

  • 29 Terme d'imprimerie. Relief de la lettre, cette partie de la lettre qui laisse son empreinte sur le papier. L'œil de la lettre.

    Gros œil, caractères d'imprimerie dont l'œil ou le contour des lettres, fondu sur l'un des différents corps des caractères, a plus de grosseur que n'en a ordinairement l'œil de ces caractères.

    L'ensemble que présentent à la vue les caractères imprimés. L'œil de ce caractère est trop fin.

  • 30Œil de perdrix, point de marque pour le linge, composé de quatre points placés de façon à laisser, au milieu sur l'étoffe, la place d'un point de quatre fils.

    Œil de perdrix et yeux de perdrix, nom d'une étoffe, moitié laine et moitié soie, diversement ouvragée et façonnée.

    Linge à œil de perdrix, linge de table ouvré, dont la façon représente à peu près des yeux de perdrix.

    Œil de perdrix, espèce de cor qui survient entre les doigts des pieds.

    Au plur. Des œils de perdrix, d'après Pautex ; mais c'est une erreur ; on dit partout, en cet emploi, des yeux.

    Œil de perdrix, se dit aussi d'une lésion qui survient aux doigts des chapeliers. Elle [une préparation] détruit l'épiderme par places, et produit au bout des doigts de petites crevasses, ce qu'en termes de chapellerie on appelle yeux de perdrix, Tenon, Instit. Mém. scienc. 1806, 1er févr. p. 106.

    Œil de perdrix, point qu'on trouve parfois dans un nœud d'arbre et qui peut causer le rebut d'une pièce de bois.

    Terme de plombier. Yeux de perdrix, petites marques qui se trouvent dans l'étain et en indiquent la finesse.

  • 31Œil-de-bœuf, toute fenêtre ronde qui se prend dans un fronton, un attique, dans les reins d'une voûte, dans la couverture d'une maison (dans cette acception on dit au pluriel, des œils-de-bœuf). Les œils-de-bœuf de la cour du Louvre sont ornés de sculptures.

    Absolument. Œil-de-bœuf, nom d'une salle d'attente dans le château de Versailles, lorsque la cour s'y tenait ; elle était éclairée par un œil-de-bœuf (on met, en ce sens, une majuscule). Gentilhomme de l'Œil-de-bœuf. Chronique de l'Œil-de-bœuf.

    Fig. Par la révolution Versailles s'est fondu dans la nation ; Paris est devenu l'Œil-de-bœuf, tout le monde en France fait sa cour, Courier, Pamphl. des pamphl.

    Terme de vitrier. Œil-de-bœuf, nœud qui est au milieu des tables de verre (au pluriel, des œils-de-bœuf).

    Petit vaisseau rond de faïence, où les peintres détrempent leurs couleurs (au pluriel, des œils-de-bœuf).

    Œils-de-bœuf, trous ronds qu'on aperçoit sur le tronc des arbres, et qui sont produits par la pourriture d'une branche.

    Terme de météorologie. Œil-de-bœuf, au pluriel, des œils-de bœuf, petits nuages qui apparaissent soudainement au milieu d'un ciel serein dans les régions chaudes, et qui annoncent d'ordinaire une tempête tournante, un typhon. Dans la terre de Natal, il se forme aussi un petit nuage semblable à l'œil-de-bœuf du Cap de Bonne-Espérance, et de ce nuage il sort un vent terrible qui produit les mêmes effets, Buffon, Hist. nat. preuv. théor. ter. Œuv. t. II, p. 266.

    Œil-de-bœuf, variété de feldspath opalin.

    Œil-de-bœuf, le roitelet, motacilla regulus, L.

  • 32Œil-de-loup, nom de certaines pétrifications. La pierre appelée œil-de-loup est un produit du feldspath ; elle est chatoyante, et probablement mêlée de parties micacées qui en augmentent le volume et diminuent la masse, Buffon, Min. t. VI, p. 176.

    Œil-de-serpent, petite pierre qu'on monte en bague.

    Œil-de-chat, corindon nacré, de la série des pierres chatoyantes, et plus dur qu'elles toutes ; aussi les raye-t-il. Œil-de-chat, nom donné par les fabricants de meules de moulin à une qualité particulière de silex molaire.

    Œil-du-monde, sorte de quartz, voy. MONDE.

    Œil-de-poisson, plusieurs variétés de quartz. La pierre nommée vulgairement œil-de-poisson, pierre de lune, et argentine par les lapidaires, et qui se rapporte à cette variété de feldspath, vient de l'Orient et plus particulièrement de l'Arabie et de la Perse, Brongniart, Traité de minér. t. I, p. 359 dans POUGENS.

    Œil-de-paon, espèce de marbre.

    Dans tous ces mots, au pluriel, on dit des œils.

  • 33Œil d'Ammon ou œil-de-bouc, espèce de coquillage, helix oculus capri.

    Faux œil-de-bouc, l'hélice peson, helix algira.

    Œil-de-chat, nom marchand de l'hélice glauque.

    Œil-de-vache, coquille univalve.

    Œil-de-sainte-Lucie, opercule d'un sabot des Indes.

    Œil-d'or, poisson.

    Œil-du-jour, le paon du jour, papillon.

    Œil-peint, oiseau du Mexique.

    Œil-blanc, ou œil-de-verre, la fauvette tcheric, sylvia madagascarensis, Lath.

    Grand-œil, un spare, poisson dit aussi un gros-yeux et calet, sparus grandoculus.

    Dans tous ces mots, on dit, au pluriel, œils.

  • 34Œil-de-chat, nom du fruit du bonduc aux îles.

    Œil-de-chèvre, sorte de graminée.

    Grand-œil-de-bœuf, l'adonide.

    Œil-de-Christ, nom donné à l'aster emellus et à l'inula oculus Christi.

    Œil-du-diable, nom vulgaire de la variété à fleurs rouges de l'adonide estivale (renonculacées).

    Yeux de bourrique, graines du dolique brûlant.

    Yeux de la reine de Hongrie, variété de nèfles.

    Œil-de-bœuf, espèce de camomille, anthemis tinctoria, L.

    Œil-de-bouc, le pyrèthre et la marguerite des prés.

    Œil-de-cheval, l'aunée.

    Œil-de-chien, nom vulgaire du psyllium.

    Œil-de-corneille, espèce de champignon.

    Œil de l'olivier, agaric qui croît sur l'olivier.

    Œil-de-perdrix, un des noms vulgaires de l'adonide d'été et d'une espèce de scabieuse, scabiosa columbaria.

    Œil-de-vache, nom donné dans la campagne aux anthemis arvensis et cotula, espèces de camomilles.

    Œil-de-soleil, la matricaire. Dans tous ces mots, on dit, au pluriel, œils.

  • 35Yeux d'écrevisse ou pierres d'écrevisse, concrétions dures, blanches, orbiculaires, aplaties et concaves d'un côté, convexes de l'autre, que l'on trouve au nombre de deux, aux côtés de l'estomac de l'écrevisse, à l'époque où elle se dispose à renouveler son test calcaire ; on s'en servait autrefois comme d'une poudre absorbante ; on les remplace aujourd'hui par la craie ou la magnésie.
  • 36 Terme de jeux. Yeux de ma grand'mère, se dit, à l'hombre, quand on a dans la main les deux as rouges.
  • 37À l'œil, loc. adv. Par la vue. On peut voir à l'œil qu'il y a dans le foie quantité de veines, Descartes, Pass. 108. On voit loin du bord un écueil Qu'on découvre aisément à l'œil, Scarron, Virg. V.

    Faire toucher au doigt et à l'œil, faire voir clairement. Si je voulais m'engager à son service, elle [la reine] me ferait toucher le détail au doigt et à l'œil, Retz, III, 216. (Cette locution ne paraît pas très correcte ; voy. DOIGT, n° 1.) Par plaisanterie, cette montre va au doigt et à l'œil, elle est très mauvaise, il faut y toucher sans cesse pour la remettre à l'heure.

    Faire la guerre à l'œil, voy. GUERRE, n° 1.

    Servir à l'œil, servir son maître avec zèle et sans autre commandement que son seul regard. Il le faut servir [le roi], non à l'œil, comme pour plaire aux hommes, mais avec bonne volonté, Bossuet, Polit. III, II, 3.

    Populairement, à l'œil, à crédit. Il dîne à l'œil dans ce restaurant. (Cette locution signifie proprement sur l'œil, sur la vue, sur la bonne mine de celui à qui l'on fait crédit.)

    On dit aussi : acheter à l'œil, obtenir des marchandises à l'œil. Dans cette maison il a tout à l'œil, et même, elliptiquement, il a l'œil.

  • 38À vue d'œil, loc. adverb. Autant qu'on en peut juger par la vue seule. Je n'ai jugé cette distance qu'à vue d'œil.

    Visiblement, d'une manière apparente. Mal… Qui vous tue à vue d'œil et que l'on ne voit point, Régnier, Sat. VI. Nous sommes dans la joie de voir revenir à vue d'œil la santé de ma mère, Lett. de CH. DE SÉV. dans SÉV. 249. La faveur de Quanto [Mme de Montespan] diminue à vue d'œil, ID. 432.

  • 39De l'œil, loc. adv. En regardant. Pinucio, sur l'avis de Colette, Marque de l'œil comme la chambre est faite, La Fontaine, Berc. Mais le prélat vers lui fait une marche adroite, Il l'observe de l'œil, Boileau, Lutr. V. Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière, Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière ? Racine, Phèdre, I, 3.

    Fig. En surveillant. Je conduis de l'œil toutes choses, et tout ceci ne va pas mal, Molière, Pourc. II, 11. Conduisons le vaisseau de la main et de l'œil, Molière, l'Ét. II, 3. Laissez-m'en le soin, je conduis des yeux toutes choses, Sévigné, 137.

    Suivre quelqu'un de l'œil, faire attention à sa conduite, à ses démarches.

  • 40Entre deux yeux, entre les deux yeux, loc. adv. Fixement. Regarder quelqu'un entre deux yeux. Géronte : Tenez-vous que je vous voie en face. - Léandre : Comment ? - Géronte : Regardez-moi entre deux yeux, Molière, Fourber. II, 3.
  • 41Entre quatre yeux, en tête-à-tête. Je lui lirai cela entre quatre yeux.

    On prononce entre quatre-z-yeux. Des grammairiens s'y opposent ; mais il n'y a aucune raison de repousser cette lettre euphonique qui se trouve dans bien d'autres cas : va-s-y, donne-s-en, etc. et qui a pour elle l'autorité de l'usage. Néanmoins on dit quatre yeux, en parlant de deux personnes regardant fixement : Quatre yeux étaient braqués sur moi ; et dans la locution proverbiale : Quatre yeux voient mieux que deux, c'est-à-dire le jugement de plusieurs personnes vaut mieux que celui d'une seule.

  • 42Jusqu'aux yeux, jusqu'au visage. Après ce petit bal, on vit entrer… cinquante Bas-Bretons dorés jusqu'aux yeux, Sévigné, 5 août 1671.

    Fig. De plus, je suis en l'abondance jusques aux yeux, Guez de Balzac, liv. III, lett. 7.

  • 43 Fig. et familièrement. Par-dessus les yeux, excessivement. La belle avait de quoi mettre un Gascon aux cieux : Des attraits par-dessus les yeux, La Fontaine, Gasc. puni. Il est dans le bel air par-dessus les yeux, Sévigné, 42.

    Plus qu'on n'en peut supporter. Trouvez-vous, ma bonne, que je ne vous parle point de moi ? en voilà par-dessus les yeux, Sévigné, 8 juill. 1676. Enfin, ma fille, vous avez quitté Aix ; vous me paraissez en avoir par-dessus les yeux, Sévigné, 11 avr. 1689.

    Avoir des affaires par-dessus les yeux, en avoir tant qu'à peine on y peut suffire.

  • 44Non plus, pas plus que dans mon œil, c'est-à-dire pas du tout. Non plus d'amourettes là-dedans que dans mon œil, Genlis, Théât. d'éduc. la Lingère, I, 2.

    Ce qu'il en tiendrait dans mon œil, c'est-à-dire une très petite quantité. Les tailleurs d'autrefois, qui travaillaient à façon, avaient un coffre auquel ils donnaient le nom d'œil, et, quand on leur demandait s'il leur restait de l'étoffe, ils juraient qu'ils n'en avaient pas plus qu'il n'en pourrait tenir dans leur œil, Franc. Michel, Argot, Mulet. Un tailleur qui demande demi-quart de drap plus qu'il ne faut pour en faire un habit complet, et qui met en son œil, c'est-à-dire en réserve, quelques bonnes pièces de ce drap, Le P. Simon Mars, Syst. du roy. de Dieu, p. 667, dans POUGENS.

PROVERBES

Œil pour œil, et dent pour dent, se dit de la peine du talion établie par la loi des Juifs. Si la femme en meurt, il rendra vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, Sacy, Bible, Exode, XXI, XXIII, 24. Tous, taillant et hurlant, en bandits que nous sommes, Œil pour œil, dent pour dent, c'est bien ! hommes contre hommes ! Hugo, Ruy Blas, I, 2.

Les yeux sont le miroir de l'âme, c'est-à-dire les différents mouvements, les différentes passions dont l'âme est agitée paraissent ordinairement dans les yeux.

Il voit une paille qui est dans l'œil de son prochain, et il ne voit pas une poutre qui est dans le sien, locution qui est tirée de l'Évangile et qui signifie que nous sommes plus clairvoyants dans les défauts d'autrui que dans les nôtres.

Loin des yeux, loin du cœur, signifie que l'absence fait oublier l'amour, l'amitié.

Quand on a mal aux yeux, il n'y faut toucher que du coude, c'est-à-dire il n'y faut pas toucher du tout.

Deux yeux valent mieux qu'un, ou quatre yeux valent mieux que deux, signifie que des affaires sont mieux examinées par plusieurs personnes que par une seule.

REMARQUE

Ménage a dit : Il faut prononcer euil avec les Parisiens et non eil avec les provinciaux : c'est donc mal rimer que de rimer ce mot avec soleil : Je n'ai vu qu'à regret la clarté du soleil, Depuis qu'en soupirant j'éloignai ce bel œil, BERTAUT.

HISTORIQUE

XIe s. Si alcuns crieve l'oil à l'altre…, Lois de Guill. 21. Vairs [il] ot les oils et mout fier le visage, Ch. de Rol. X. Gardez le bien [mon fils], jà nel verrai des oilz, ib. XXIII. Car à mes oilz [je] vi quatre cenz armez, ib. LIII.

XIIe s. L'aigue [l'eau] du cuer lui est es els montée, Ronc. p. 48. Tant a saigné, li oil lui sont troublé, ib. p. 91. Qu'el ne parole ne les els ne ouvrit, ib. p. 170. Mais li vilains el reprovier Dit : teus [tel] demeine grant orguil, Qui ne set que le pent à l'oil, Benoit de Sainte-Maure, II, 14893. Se j'en travail [souffre], je n'en sai qui blasmer, Fors ses douz ieus et son simple viaire, Couci, II. Et si bel œil, vair et riant et cler, M'orent ainz [avant] pris que [je] m'osaisse donner, ib. VI. Las ! pourquoi l'ai de mes euz regardée, La douce rien qui fausse amie a nom ? ib. VI. De ses biaux ieuz [elle] me vint sans defiance [défi] Ferir au cuer, que n'i ot autre effort, ib. XVI. [Il] Ne sera tant hardiz que des oilz [il] nous regart, Sax. XXIX. Tuit sevent qu'il vus ad durement honuré, Del poi ù vus trova hautement alevé ; Bailla vus del realme tute la poesté, Que cil que eüssiez de bon oil reguardé Se tenist à cele ure pur mult boneüré, Th le mart. 83. Quant il ellevarent lur oez, nel conurent mie, Job, p. 453.

XIIIe s. Et ces riches palais et ces hautes yglises, dont il avoit tant que nus nel peust croire s'il ne le veist proprement à l'ueil, Villehardouin, LXI. Cil Alexis prit l'empereour son frere ; si lui traïst les iex de la teste, et se fist empereour par tel traïson, Villehardouin, XLII. Que de vous n'ert [ne sera] veüs iex [œil] ne nés ne mentons, Berte, LXXVII. Henris vit oell à oell tous les fais qui là furent, H. de Valenciennes, I. Ahi ! Renart, trop ai sofert Ton grant orguel et ton desroi ; Mes, se j'en ai congié del roi, Ja aurons la bataille à l'oil, Ren. 14509. Male-Bouche dès lors en çà à espier me commença, Et dist qu'il metroit bien son oel, Que entre moi et Bel-Acueil Avoit mauvais acointement, la Rose, 3533. Ele avoit un mauvès usage, Qu'ele ne pooit ou visage Regarder riens de plain en plaing, Ains clooit [fermait] ung oel par desdaing, ib. 286. Il [l'amour] entesa [banda] jusqu'à l'oreille L'arc qui estoit fort à merveille, Et trait à moi par tel devise, Que parmi l'oel m'a ou cuer mise La sajete par grant roidor, ib. 1702. Partonopeus fait son ator [préparatif] Par matinet al oel del jor, Partonop. v. 1949. Li dois siolt [a coutume] estre à le [la] dolor, Et li iols tos jors à l'amor, ib. v. 3437. Or entendez Com Nobles [le roi] a les iex bendez, Rutebeuf, I, 199. Si come la clartez, qui est bone par nature, mais ele est mauvaise as oils malades, Latini, Trés. p. 18. En la vielle loi commanda il [Dieu] à oster oil por oil, Latini, ib. p. 25. Nabuchodonosor… le [Sedechias] prist, et li osta les iex hors de la teste, Latini, ib. p. 51. …[Tobie] avugla par le fien d'une arondele, qui li chaï ès els, Latini, ib. p. 60.

XIVe s. La fourme du cervel et des pannicles [méninges] ne puet [peut] pas bien estre desclairie à l'ougle, H. de Mondeville, f° 15. Pour ce est voir [vrai] ce qu'on dire seult [a coutume] : De ce qu'œil ne voit, cuer ne deult [n'a de chagrin], J. Bruyant, dans Ménagier, t. II, p. 15. Prenez des coings, fendez par quartiers, et ostez l'ueil et les pepins, Ménagier, II, 5. Et convient oster les feuilles d'en bas, et les replanter jusques à l'euil d'en haut, ib. II, 2.

XVe s. Si tost que le duc d'Anjou sçut qu'il [Charles V] avoit les yeux clos…, Froissart, II, II, 71. Se tu la prens qu'elle soit belle, Tu n'aras jamais paix à elle ; Car chascun la convoitera ; Et dure chose à toy sera De garder ce qu'un chascun voite [sic], Et qu'il poursuit et qu'il convoite ; Car tu as contre toy cent œulx, Deschamps, Poésies mss. f° 499. Tant y eussent ilz si grant prerogative, qu'il sembloit que devant eulx nul n'osast l'œil lever, Christine de Pisan, Charles V, II, 9. Tresque mon oueil vous vit premierement, Il ordonna mon cueur entierement Pour vous servir en toute feaulté, Orléans, Rond. Et disoient les chirurgiens qu'il n'y avoit remede, et qu'il perdroit l'œil, Juvénal Des Ursins, Charles VI, 1385. Ne pesez-vous aultrement cestui affaire… qui y allez d'un œil tant seulement là où il en besoingne bien douze ? Chastelain, Chr. des d. de Bourg. III, 25. Dont luy, qui avoit l'œil à tout, Chastelain, ib. II, 1. Lequel Hardy, fol et enraigé et non ayant Dieu devant les yeulx… s'en partit et tira tout droit où le roy. estoit, J. de Troyes, Chron. 1473. Ce sont lettres et escriptures, par qui nous sont rapportées les choses passées, et que à l'œuil nous ne voyons mie, Bouciq. Prol. Parmy les gens rire la lerme à l'ueil, Son semblant faindre, Souffrir douleur, et ne s'en oser plaindre, Chartier, le Débat des deux fortunes. Un annel d'acier, auquel a une pierre d'ueil de chat, De Laborde, Émaux, p. 407. Les inhabitants des dictz pays, notamment de Flandres, sont d'anchienneté en l'œil et haine des nobles estrangiers, De la Marche, Mém. Avis aux lecteurs. La plus sage femme du monde, au regart du sens, en a autant comme j'ay d'or dans l'œil, ou comme un singe a de queue, Les 15 joyes de mariage, p. 106. Après ce se tourna le gentil roy par devers Lyonnel le bon chevalier, qui estoit assis à sa dextre et se humilioit envers luy, et luy dist : Lyonnel, beaux amys, moult nous avez fait longs yeux longtemps a, et toutefois soyez vous le bienvenu, Perceforest, t. II, f° 129. Il luy sembloit pour ses beaux yeulx, qu'on luy de voit octroyer ce qu'il demandoit dès la premiere fois, Aresta amorum, p. 160, dans LACURNE. J'ay veu beaucoup d'exemples de ceste matiere à l'œil, et ne parle pas par ouyr dire, Commines, I, 16. Ung prince doit bien avoir l'œil quelz gouverneurs il mect en un pays nouvellement joinct à sa seigneurie, Commines, V, 1. Chacun rendit graces à Dieu, faisant très petits yeux [ils étaient soûls], et ne demandoit que le lit, Louis XI, Nouv. VII. Cette femme, au temps qu'elle fut neuve, pource qu'elle avoit l'œil au vent, fut requise d'amour de plusieurs gens, Louis XI, ib. LI.

XVIe s. Il resta tout eslourdy, ung œil poché OD beurre noir, Rabelais, Pant. IV, 12. Il feut si bien accoustré que le sang luy sortoyt par la bouche, par le nez, par les aureilles, par les œilz, Rabelais, ib. IV, 14. J'ay icy longuement repeu mes yeulx, mais je ne m'en peulx en rien saouler, Rabelais, ib. V, 31. Les yeulx immobiles, Montaigne, I, 8. Avoir l'œil au guet, Montaigne, I, 25. Voir devant ses yeulx fourrager une ville, Montaigne, I, 27. Avoir les yeulx plus grands que le ventre, Montaigne, I, 230. Il n'y a rien de changé ; mais nostre ame regarde la chose d'un aultre œil, Montaigne, I, 271. L'elephant, le regardant de mauvais œil…, Montaigne, II, 176. L'assistance qui avoit les yeulx sur moy, Montaigne, III, 291. Juger d'une chose à l'œil [sans règles, simplement], Montaigne, IV, 234. Ilz ne l'ozoient pas seulement regarder entre deux yeux, Amyot, Marcel. 37. Tout le monde jetta incontinent les yeux sur Aristides, Amyot, Arist. 8. Il se jettoit à clos yeux au danger, Amyot, Phoc. 8. Le vicomte pria le roi de Navarre qu'il lui servit de sergent de bataille en cette journée ; la reponse fut : je le veux bien, mon œuil par dessus, D'Aubigné, Hist. III, 50. N'estant au reste si depourvu de sens et d'experience, qu'il ne sçust bien faire la guerre à l'œil, Carloix, I, 6. Le malade a les yeux battus, ne pouvant reposer ny dormir qu'à grande peine, Paré, XV, 36. Œil de bœuf est une maladie d'œil, quand il est gros et eminent sortant hors la teste, comme l'on voit les bœufs les avoir. - Œil de cochon, est quand l'œil est rond et petit et peu fendu, comme les ont les cochons. - Œil de chat, qui se dit à raison que l'on voit de nuit, ainsi que font les chats.Œil de chevre, maladie qui vient à la cornée de l'œil, comme taches blanches, ainsi qu'on voit aux chevres.O eil de loup ou de mauvais garçon, maladie de l'œil, quand ils sont noirs, enfoncés, regardans de travers, comme les ont les loups, et ordinairement les traistres et mauvais garçons, Paré, Introd. 21. Du bout des sarmens ainsi couchés, sort sur terre deux ou trois œils, De Serres, 163. Entre les vins clerets, deux couleurs en sont les principales : de rubi oriental ou œil-de-perdris, et de hyacinte tendante à l'orangé, De Serres, 216. Entre tous les vins, je vois d'un fort bon œil Tousjours celuy qui est vermeil, J. le Houx, Vau de Vire, 24. J'ay mis au clair le plus grand de mes doutes ; J'ay descouvert cent secrets d'un traict d'œil, Saint-Gelais, 181. Ce grand flambeau du ciel [le soleil] sans fin resplendissant, Œil visible de Dieu, fils aisné de nature, Desportes, Diane, II, 71, stances. Bien que je voye à l'œil mon malheur préparé, Et que le desespoir soit ma seule esperance, Desportes, Diverses amours, X. Print ses yeux [lunettes] qu'il portoit à sa ceinture, Bouchet, Serées, II, p. 157, dans LACURNE. …Depuis que la France Couve dedans son sein le meurtre et la vengeance… France, le petit œil et la perle du monde, Est maintenant sterile au lieu d'estre feconde, Belleau, Bergeries, t. I, p. 2. Œil un aultre œil voit, et non soy, Génin, Récréat. t. II, p. 246. …Car l'œil parle et frappe, sert de langue et de main, Charron, Sagesse, I, 11. Vous savez si elles ont l'œil au bois ; il ne faut pas broncher devant elles, rien ne tombe à terre, Contes de Cholières, f° 220, dans LACURNE. Il a un œil à la poisle, l'aultre au chat, Cotgrave À l'œil malade la lumiere nuit, Cotgrave À cœur dolent l'œil pleure, Cotgrave Orgueil n'a pas bon œil, Cotgrave Qui n'a qu'un œil bien le garde, Cotgrave Par l'œil, par l'oreille et l'espaulle, Dieu a frappé trois rois en Gaulle ; Par l'espaulle, l'oreille et l'œil, Dieu a mis trois rois au cercueil ; Par l'espaulle, l'œil et l'oreille, Dieu a puni par grand merveille Antoine, François et Henri, Qui s'estoient bandés contre lui [dicton protestant sur Henri Il mort d'un coup de lance dans l'œil, François Il mort d'un abcès à l'oreille, et Antoine, roi de Navarre, mort d'une blessure à l'épaule], Leroux de Lincy, Prov. t. I, p. 271. Mieux vaut un œil que nul, Leroux de Lincy, ib. t. II, p. 350. Quand l'orgueil va devant, suivez le bien à l'œil, Vous verrez la ruine aux talons de l'orgueil, D'Aubigné, Tragiques, Vengeances.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, oûie ; Hainaut, ouail, ouèle ; Maine, uet ; Berry, yeu : j'ai mal à mon yeu ; bourg. lé deuz euille ; provenç. olh, ol, oill, huelh, huel, uel, uil ; anc. catal. oill ; catal. mod. ull ; espagn. ojo ; portug. olho ; ital. occhio ; du lat. oculus, qui a l'accent sur o (et non de ocellus, qui l'a sur cel). Oculus est une forme diminutive d'un radical oc, qui se trouve dans le lithuanien akis, le russe oko, et le sanscrit aksha, œil. Dans l'ancien français, la déclinaison est : nominatif li oils ou oels ou iex, régime le oil ou oel ; au pluriel li oil, au régime les oils ou oels ou iex. Iex se prononçait comme nous prononçons yeux. Le mot, en raison de l'l, a été traité comme les mots en al ; cheval, chevaux, de là son pluriel qui reproduit le cas régime pluriel de l'ancienne langue. Dans plusieurs anciennes formes on trouve un i : iols, iex, etc. ; c'est une formation analogue à miel du lat. mel, mieux du lat. melius, et aussi à biau, châtiau de plusieurs patois.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ŒIL. Ajoutez :
37À l'œil.

Connaître à l'œil, connaître en vérifiant soi-même. Il est important de connaître à l'œil le peu d'assurance qu'il y a aux citations de notre auteur [faites par Fénelon], surtout à celles de saint François de Sales, dont il fait son fort, Bossuet, Préf. sur l'instr. past. de M. de Cambrai, 30.

À l'œil, à crédit ; Ajoutez :

S. m. Populairement, un œil, un crédit. Il me dit qu'il avait fait un héritage, et j'ouvre l'œil jusqu'à vingt francs, Gaz. des Trib. 28 sept. 1863.

45Faire les yeux blancs, tourner les yeux en haut, de manière qu'il n'en paraisse plus que le blanc. Faire la bouche en cœur et les yeux blancs.

Populairement. Se faire les yeux blancs, se dit de deux personnes qui se regardent d'un air irrité, menaçant.

REMARQUE

Ajoutez :

2. Au n° 37, il est dit que servir à l'œil est servir son maître avec zèle, et un exemple de Bossuet est cité. M. Lelave, de Lyon, me fait remarquer que cette expression représente l'ὀφθαλμοδουλεία de saint Paul (ad Ephesios, VI, 6, et ad Coloss. III, 22) ; que, dans les deux passages, le mot grec s'applique à ceux qui servent leur maître sans zèle et uniquement quand il est là pour les surveiller ; et que Bossuet a dû prendre cette expression dans le sens de l'Écriture. Il ajoute qu'il a assez souvent entendu employer familièrement serviteur à l'œil, et toujours en mauvaise part. M. Lelave a raison ; la locution est empruntée à saint Paul, et le sens est servir sans zèle.